Si le 27 janvier 1964, la France et la Chine inauguraient une ère nouvelle, tissant des liens diplomatiques qui allaient s’épanouir et se complexifier au fil des décennies, je n’ai découvert la Chine que bien des années après. Ma rencontre remonte à 2005 par un périple en train de Moscou à Beijing. Et j’ai commencé à appréhender la richesse et la diversité de ce pays aux multiples facettes.
Afin de commémorer ce 60e anniversaire, j’ai voulu partager mes expériences et réflexions personnelles afin de mettre en évidence la nécessité et l’importance du dialogue entre la Chine et la France.
Premières rencontres avec la Chine
En prenant ce train depuis la gare de Moscou en direction de Beijing, je n’ai pas un seul instant pensé que cela bouleverserait autant ma vie. En observant les paysages sur des milliers de kilomètres, en partageant des rires dans mon compartiment avec deux voyageuses venant de Harbin, en observant les gens jouant au mah-jong sur le quai de gare, et grâce à tous ceux qui s’étonnaient de ma présence dans ce train, j’ai commencé à devenir curieuse de la civilisation chinoise et à comprendre que tout dans mon éducation entravait ma connaissance de ce pays. Cette expérience a éveillé en moi une compréhension plus nuancée de la relation franco-chinoise, non pas comme un dialogue entre deux nations, mais entre deux civilisations anciennes et complexes.
Évidemment, je suis une philosophe, j’aime comprendre, j’aime chercher et j’ai toujours considéré que les théories doivent s’élaborer en partant du terrain. Donc comment écrire sur la Chine sans connaître sa population ? C’était impossible. Je suis revenue en Chine en 2007 et j’ai relié Beijing à Delhi en passant par le Népal via la région autonome du Xizang. Mais cela ne me suffisait pas. Je voulais en savoir plus, comprendre comment la Chine fonctionne avec ses régions autonomes et la diversité de ses ethnies. Je suis donc revenue à plusieurs reprises au Xinjiang et au Xizang.
Mes découvertes au Xinjiang et au Xizang
Le Xizang et le Xinjiang sont deux régions souvent évoqués dans les médias occidentaux, mais jamais pour les bonnes raisons. Marcher sur ces terres, rencontrer ses populations, c’est dialoguer avec l’histoire et la civilisation chinoise. Alors loin des enjeux géopolitiques qui nous sont présentés, j’ai décidé de parler avec les habitants.
Quand on évoque le Xinjiang, on ferait bien de se perdre dans les steppes folles du peintre Sun Lixin qui vit depuis plus de soixante ans à Urumqi. « Les nuages blancs flottent sur le ciel bleu, les chevaux galopant sur la steppe », chante-t-il entre deux volutes de fumée de cigarette. Il aime à saisir toutes les beautés éphémères de la région. Il décrit cette époque comme un moment faste pour la Chine qui s’est développée.
Célébration de l'Aïd al-Fitr à Kashgar, au Xinjiang
Et puis il faut écouter, toucher et sentir les sculptures de Wang Zhongmin, ses œuvres sont un hymne à la diversité, aux joies du désert de cette terre de l’ouest. « Ces vestiges étaient mystérieux pour nous. Nous avions envie d’en découvrir les secrets. En fait, cela m’a beaucoup inspiré dans ma création artistique », remarque-t-il, évoquant ce jeu des matières et les joies de l’exploration des sites archéologiques.
Mes rencontres ne se cantonnent pas aux artistes, car j’aime aussi écouter tous les métiers. J’ai ainsi pu parler avec des médecins (car chaque région a ses spécificités). En rédigeant cet article, je repense à Hasanjan Yusuyin. Il est médecin dans la Vallée du raisin, non loin de Turpan. Après ses études, il a eu un très grave accident de la route. Il a dû subir de nombreuses opérations, a connu le coma et a perdu sa jambe, mais pas la vie, comme il aime à le dire. Après avoir voulu échapper à la médecine en devenant musicien, il est revenu et a étudié auprès de son père. Il est désormais un médecin très apprécié et reconnu.
Quel bonheur de rencontrer des vignerons comme Yao Decai et Li Mei, qui cultivaient du sorgho et du coton auparavant. Ils aiment leurs vignes et y travaillent, chaque jour ensemble. Du côté de Kucha, j’ai rencontré Ayiguli Turdi, directrice d’une école maternelle bilingue. Elle m’a expliqué les programmes et les journées des élèves. Et que dire de Risalat Hamut, directrice de la société de fabrication des nan de la région. « J’ai développé cette industrie pour aider à la protection de l’environnement et assurer les conditions d’hygiène irréprochable », explique-t-elle fièrement. À Kashgar, j’ai pu rencontrer Tursun Zunun, un artisan potier dont les œuvres sont tout en finesse et en rigueur.
Je ne peux pas parler des centaines de personnes rencontrées qui ont accepté de parler avec moi de leur quotidien au Xinjiang. Et cette région étant si vaste, je n’ai pas pu aller partout.
Mais évidemment, je n’ai pas évoqué mes rencontres notamment au Xizang avec, par exemple, Tseyang Changngopa. En 2012, elle était vice-présidente de l’Université du Xizang à Lhassa. Elle m’a fait comprendre que l’université figurait dans le top 100 des universités chinoises. À cette époque, l’université concevait la traduction tibétaine du logiciel de traitement de texte de Microsoft ainsi que des touches spécifiques pour les téléphones en script tibétain. Bien qu’agnostique, j’aime rencontrer les représentants religieux. Au Xizang, j’avais pris rendez-vous avec des moines et notamment Lhaba, moine du temple du Jokhang à Lhassa. Je précise qu’au Xinjiang j’ai également rencontré des imams (notamment Abudukadir, imam de la mosquée Id Kah). À chaque fois, j’ai pu parler religion, spiritualité, et même de notre époque, de ses pièges, de ses errances.
Dialoguer avec la Chine
Tellement de rencontres, tellement de discussions à cœur ouvert que j’ai décidé de créer ma maison d’édition pour cette raison, pour donner à voir autrement la Chine, sa civilisation, sa culture… Ces voyages m’ont confrontée à la méconnaissance de l’Occident vis-à-vis de la Chine. Souvent, notre vision est filtrée par des médias qui simplifient, voire déforment, la réalité d’une nation aux multiples visages. Cette méconnaissance se traduit par des stéréotypes et des incompréhensions, entravant une appréciation véritable de la complexité chinoise.
La Chine n’est pas seulement un pays ; c’est une civilisation. Ses traditions philosophiques, ses avancées technologiques, son art et sa littérature témoignent d’une richesse incommensurable. Ainsi j’ai appris et je continue à apprendre chaque jour. J’ai appris à apprécier cette profondeur, reconnaissant que chaque interaction, chaque paysage, chaque conversation révèle une facette de cette civilisation millénaire.
Soixante ans de relations diplomatiques entre la France et la Chine ne sont pas seulement un jalon politique, mais aussi un miroir reflétant nos propres incompréhensions et notre capacité à apprendre l’un de l’autre. Mes voyages en Chine, bien que personnels, sont une métaphore de ce voyage de découverte et de compréhension mutuelle. Au fur et à mesure, j’ai appris que la véritable connaissance vient de l’immersion et de l’échange, et non de la simple observation à distance. D’où l’importance de la revue Dialogue Chine-France pour réduire cette incompréhension entre nos deux pays.
*SONIA BRESSLER est fondatrice de La Route de la Soie-Éditions