Traductions en Chine
Habima, le théâtre national d’Israël, présente pour la première fois sa version de L’Avare au Théâtre d’art du peuple de Beijing, le 8 mars 2016.
La première œuvre de Molière à avoir été traduite en chinois fut L’Avare, publiée sous la forme d’un feuilleton dans la rubrique « Théâtre nouveau » de la revue littéraire Fiction Series entre 1914-1916. Cette traduction, qui n’avait pas été élaborée à partir d’un texte français, employait principalement la langue vernaculaire traditionnelle des romans anciens, agrémentée d’une pointe de chinois classique. Dans les années 1920 et 1930, la traduction chinoise de cette pièce qui a le plus circulé au pays du Milieu fut celle de Gao Zhenchang, parue en plusieurs épisodes dans le mensuel Fiction Monthly Magazine en 1921. En 1923, cette version a été distribuée en un seul volume par la Presse commerciale, avant d’être rééditée plusieurs fois en 1926, 1930 et 1933. Elle fut très populaire en ces temps-là, notamment parce que le traducteur, Gao Zhenchang, tout en restant fidèle au texte source français, avait su traduire la pièce en employant le langage courant émergent, en phase avec la tendance qui se dessinait dans le monde de la littérature chinoise moderne. Il avait ainsi satisfait les exigences de la nouvelle génération de lecteurs, les héritiers du mouvement du 4 Mai 1919. Par la suite, dans les années 1940 et 1950, les traductions chinoises les plus emblématiques de L’Avare furent celles de Li Jianwu et de Zhao Shaohou, des textes sur lesquels se sont appuyés respectivement l’Académie de théâtre de Shanghai et le Théâtre d’art du peuple de Beijing pour mettre en scène cette comédie de Molière.
Outre L’Avare, d’autres pièces de Molière furent transposées en langue chinoise. Quelques traducteurs ont tenté de faire paraître l’œuvre complète de Molière. En 1935, le volume 1 du recueil Anthologie de Molière traduit par Wang Liaoyi a été publié par le Bureau national de compilation et de traduction, mais ce premier volume ne comprenait qu’un florilège de six comédies que Molière avait composées dans la première partie de sa vie, à savoir : L’Étourdi, Le Dépit amoureux, Les Précieuses ridicules, Sganarelle, Dom Garcie de Navarre et L’École des maris. Mais en fin de compte, en raison de différends concernant la rémunération et d’autres circonstances personnelles, Wang Liaoyi n’a pas traduit d’autres écrits de Molière. En 1949, Li Jianwu a publié huit comédies de Molière parues chez la librairie Kaiming : Les Précieuses ridicules, Don Juan, Le Médecin malgré lui, George Dandin, L’Avare, Monsieur de Porceaugnac, Le Bourgeois gentilhomme et Le malade imaginaire. Il s’agissait de la première partie de son Recueil des pièces de théâtre de Molière, un projet qu’il avait entamé de son propre chef après avoir constaté à regret qu’il n’existait toujours pas d’ensemble relativement complet de traductions chinoises des œuvres de Molière en Chine. Au total, il a traduit 17 comédies de Molière, afin de les rendre accessibles aux lecteurs chinois contemporains. Malheureusement, le volume suivant, comportant neuf autres traductions, n’a finalement pas été publié.
Dans les années 1950, les Éditions de la Littérature du Peuple ont rassemblé pour révision diverses traductions effectuées au temps de la République de Chine, et a compilé l’ouvrage Œuvres sélectionnées de Molière en trois tomes, incluant 19 comédies. En 1963, la traduction Théâtre choisi de Li Jianwu a été diffusée par les Éditions d’art et de littérature de Shanghai. En 1978, une nouvelle édition de Théâtre choisi est sortie aux Éditions de traduction de Shanghai. Entre 1982 à 1984, Li Jianwu a fait paraître chez les Éditions du peuple du Hunan le livre Comédies de Molière en quatre volumes, un recueil quasi-complet contenant 27 traductions des comédies de Molière. Il a simplement omis quelques œuvres de Molière commandées par la cour qui, de l’avis du traducteur, avaient peu d’intérêt sur les plans idéologique et artistique. En 1999, la traduction de Xiao Xiguang, Anthologie de théâtre de Molière (en quatre volumes), a été publiée aux Éditions Culture et Art. Cette publication couvrait bien cette fois-ci toutes les comédies de Molière ; toutefois, la traduction était de piètre qualité par rapport à celle rendue par la génération d’avant. La traduction classique des comédies de Molière effectuée par Li Jianwu demeure la version reconnue au sein des cercles linguistiques chinois. Elle l’emporte sur celle des autres traducteurs, aussi bien au regard de sa large diffusion que de sa profonde influence.
Représentations en Chine
Les Femmes savantes sur les planches du Grand Théâtre de Tianjin, le 30 mars 2018
L’Avare et Le Tartuffe sont les comédies de Molière qui ont été les plus jouées en Chine. Dans la première moitié du XXe siècle, la représentation la plus influente de L’Avare a été donnée en 1935 par la Troupe de théâtre nouveau Nankai, sous le nom de Caikuang. Cette comédie en cinq actes a été réorganisée en trois actes, sous la houlette du scénariste Cao Yu et du metteur en scène Zhang Pengchun. Le contexte de l’histoire, les noms des personnages et les dialogues ont été adaptés en chinois. Dès lors, cette comédie de Molière, localisée sous des titres tels que Caikuang, Shengcai Youdao et Huangjin Mi, a été interprétée dans des villes comme Beijing, Tianjin, Shanghai et Chongqing. Quant à la représentation de la pièce Le Tartuffe en Chine, on la doit aux efforts des professeurs et étudiants du Département d’art dramatique de l’École des arts de l’Université nationale de Beiping. En 1930, Chen Zhice a endossé trois casquettes (scénariste, metteur en scène et acteur) pour présenter à l’issue de ses études la pièce de théâtre L’Avare devant la première promotion d’étudiants du Département d’art dramatique. Il s’est produit d’abord au Petit Théâtre de Beiping, puis à l’auditorium Xiehe. Avec l’évolution de la situation sociale, les enseignants et étudiants participant au projet ont pu jouer cette comédie satirique intemporelle qu’est L’Avare jusque dans le Shaanxi, le Shandong et le Sichuan. En 1942, après que le Collège national de théâtre de Nanjing a déménagé dans le district de Jiang’an (Sichuan) en raison de la guerre, ses élèves ont de nouveau interprété L’Avare. Mais que ce soit dans les années 1930 ou 1940, les représentations de cette pièce ont sans cesse été ajustées, oscillant entre les formes de l’opéra traditionnel chinois chanté et le théâtre moderne occidental parlé, en fonction du goût esthétique du public chinois et de l’évolution du marché du théâtre.
Dans la seconde moitié du XXe siècle, de multiples comédies de Molière ont été jouées sur les planches chinoises. En 1959, l’Académie centrale de théâtre a interprété Le Tartuffe ; l’Académie de théâtre de Shanghai a joué la version de L’Avare de Li Jianwu ; tandis que le Théâtre d’art du peuple de Beijing a présenté la version de L’Avare de Zhao Shaohou. Ces trois représentations s’efforçaient de préserver la touche « française » des comédies de Molière, tout en cherchant activement à déterminer le meilleur moyen d’ajuster les comédies étrangères aux conditions nationales. Dans les années 1980, le répertoire des comédies de Molière présentées en spectacle en Chine s’est étoffé : outre L’Avare et Le Tartuffe, régulièrement jouées sur scène, d’autres comédies telles que Le Bourgeois gentilhomme, Les Fourberies de Scapin et Le Médecin malgré lui sont venues s’ajouter à la liste. En outre, les Chinois ont innové dans les formes d’exécution théâtrale, en puisant dans la tradition : les troupes et les spectateurs ne cherchaient alors plus à savoir si le spectacle collait bien au style des comédies de Molière, mais s’intéressaient davantage à la créativité dans la performance. Ils voulaient un spectacle « digne d’un grand Molière, mais revisité à la sauce chinoise ».
Depuis le début du XXIe siècle, au cours duquel les échanges culturels entre la Chine et la France se sont multipliés, l’on a pu voir des troupes françaises partir en tournée en Chine avec les comédies de Molière, ou encore des metteurs en scène français faire répéter les pièces de Molière à des étudiants en art dramatique. Par ailleurs, la Chine a organisé à diverses reprises des festivals de théâtre internationaux, en invitant des troupes françaises, grecques, israéliennes et allemandes à jouer les œuvres classiques de Molière en Chine, ce qui a ravivé l’engouement pour les théâtres de Molière joués sur scène.
Influence en Chine
L’œuvre de Molière a influencé la Chine à bien des égards. D’un point de vue littéraire, comme les comédies de Molière ont valeur de classiques dans l’histoire du théâtre mondial, les nombreuses traductions chinoises qui en ont été faites ont exposé aux lecteurs chinois l’exemple type le plus direct du genre « comédie ». En outre, certains écrivains chinois ont imité les œuvres de Molière, s’en sont inspirés et les ont assimilées, ce qui a favorisé la création de comédies en Chine, de même qu’influencé la compréhension et la maîtrise du genre « comédie » par les Chinois.
D’un point de vue théâtral, les pièces de Molière ont été présentées à différentes époques et sur différentes scènes. Elles font à présent partie du répertoire classique des représentations théâtrales chinoises. Cela reflète le processus d’assimilation continue des traditions de l’opéra chinois et des mouvements théâtraux étrangers ; et, dans une certaine mesure, fait état de l’évolution qu’ont connue les exigences socioculturelles locales ainsi que le goût esthétique des spectateurs.
En ce qui concerne les échanges culturels sino-étrangers, les comédies de Molière ont permis aux Chinois d’entrevoir un aperçu de la culture, des mœurs et de l’état d’esprit français. Les Chinois ont également découvert à quel point, des œuvres de Molière relevant du classicisme, il en ressort des valeurs modernes une fois ces pièces transposées dans un nouveau contexte culturel.
*XU HUANYAN est professeure associée à l’École de littérature relevant de l’Université du Sud-Ouest.