« La chaise est l’objet le plus fondamental, qui a accompagné l’évolution des êtres humains et le développement de la civilisation antique. La chaise est aussi une œuvre qui peut être lue avec le corps, c’est le reflet de la profondeur culturelle et de la beauté de chaque époque. Elle est avec nous jour et nuit, et nous y sommes habitués et oublions souvent ses caractéristiques artistiques. » En raison de cette prise de conscience, Wang Conghui, directrice du Musée des beaux-arts Zhi à Chengdu (Sichuan), a organisé une exposition où sont présentées 30 œuvres de 20 artistes en provenance de 10 pays. Intitulée « A chair, », cette exposition entièrement consacrée aux chaises se déroule du 1er octobre 2021 au 10 avril 2022.
On y trouve des installations, des peintures, des sculptures, des vidéos et des photographies qui reflètent la relation complexe entre la chaise dans sa fonction d’objet et la société. Yu Haining, un des deux commissaires avec Chen Chao, a expliqué que la virgule dans le nom de cette exposition signifie qu’il ne s’agit que d’un début.
Déconstruire la chaise
« HLD (High, Long, Deep) : Convergence » de Damián Ortega
En entrant dans le musée, des chaises suspendues au centre de la salle attirent le regard : il s’agit de l’œuvre « HLD (High, Long, Deep) : Convergence » de l’artiste mexicain Damián Ortega. Il en a démantelé la structure pour réexaminer chaque composante et présenter une nouvelle dimension spatiale. L’œuvre a déjà été exposée au Centre Pompidou à Paris, au Tate Modern de Londres et au MOCA de New York, et fait sa première en Chine.
Les œuvres « Ajouter un concept à un concept » de l’artiste chinois Shi Yong et « Chaise 1&N » de l’artiste colombien Fito Segrera dialoguent à leur manière avec « One and Three Chairs », une création datant de 1965 de l’artiste conceptuel Joseph Kosuth.
En allant au premier étage, on trouve une installation de trois œuvres bidimensionnelles exquises, d’une tranquillité apparente, mais possédant en réalité une dimension philosophique et conceptuelle rebelle, de l’artiste islandaise Inga Svala Thórsdóttir. Appelée « Une table et deux chaises », il s’agit d’une bouteille et de deux aquarelles : la première contient de la poudre – ce qu’il reste de la table et des deux chaises une fois qu’elles ont été broyées – alors que les secondes en dépeignent le processus. L’artiste souhaite attirer l’attention au-delà de l’esthétique et de la forme. Depuis l’Antiquité, les Islandais luttent contre la nature pour survivre afin de ne pas être écrasés par la force des éléments naturels. L’artiste veut ainsi trouver un équilibre entre l’homme et la nature.
Communiquer avec les chaises
« Chérie », des artistes chinois Sun Yuan et Peng Yu
Au dernier étage du musée, dans un immense espace, plusieurs chaises en plastique blanc sont réparties en désordre comme sur une scène de théâtre. Il s’agit en fait de l’installation interactive « Communication, 02012 » de l’artiste belge Lawrence Malstaf. Plusieurs chaises vibrent, se déplaçant lentement dans l’espace, et tournant au hasard, semblant se chercher et se battre au son d’un doux bourdonnement. Lorsque le public passe, ces chaises hésitent puis tentent soigneusement d’exécuter des trajectoires différentes en fonction de motifs. Ces trajectoires ne sont pas définies : il s’agit d’un système autonome qui génère spontanément de nouvelles relations compositionnelles et de nouveaux comportements au fur et à mesure du fonctionnement du dispositif. Lawrence Malstaf a remporté de nombreux prix internationaux dans les arts et les technologies de pointe. Il est également un scénographe créatif dans la danse et le théâtre. Ses installations et ses performances artistiques sont au carrefour de la vision et de la fiction, se concentrant sur le mouvement, la contingence, l’ordre et le chaos, dans le but d’offrir au public un espace sensoriel immersif.
Dans le salon de thé au premier étage du musée, l’artiste sonore britannique Colin Siyuan Chinnery a créé l’installation sonore interactive « Le son de la chaise » pour cette exposition afin d’offrir une expérience sensorielle inattendue. Le salon de thé est une structure rectangulaire en verre avec un cadre en acier. De l’extérieur, tout l’espace ressemble à une œuvre d’art minimaliste. La pièce est complètement transparente et l’on embrasse tout d’un coup d’œil, de sorte qu’elle utilise le bâtiment tout comme elle en est une partie intégrante. Mais comme elle est entourée d’eau, regarder de l’intérieur vers l’extérieur procure un effet psychologiquement apaisant. Cette œuvre explore les dimensions psychologiques et physiques de cet espace. Six chaises sont placées dans la salle et les visiteurs sont invités à les utiliser. Puisqu’il n’y a rien à « voir », le visiteur devient lui-même l’exposition. Mais lorsque les gens s’assoient, des enceintes disposées dans ces chaises émettent des sons à basse fréquence déphasés, et les personnes assises peuvent en ressentir physiquement les vibrations. Le déphasage permet au son d’interagir de manière inattendue avec les fréquences de résonance du verre et la forme de l’espace. Les fréquences de chaque chaise étant différentes, les timbres des différentes chaises réagissent entre eux et avec l’espace, et la personne assise peut également ressentir ces phénomènes acoustiques physiques.
Inspiré par la découverte de la beauté de la vie quotidienne, « Relation » du designer et artiste allemand Bert Löschner se compose de deux chaises à bascule en fibre de verre munies de bras en chêne. Bien que les chaises soient vides, elles évoquent deux amis assis discutant tout en se balançant d’avant en arrière. L’artiste met l’accent sur la dimension humaine du mobilier, en particulier la relation étroite entre le corps et la chaise.
L’œuvre vidéo de Francis Alÿs, célèbre artiste contemporain belge, est une évocation enfantine du jeu des chaises musicales avec « Jeux d’enfants 12/Chaise musicale ». On y voit la joie contagieuse qui en émane. L’artiste l’a postée sur Internet et elle a rapidement été utilisée par de nombreuses galeries d’art et des écoles du monde entier à des fins éducatives pour les enfants.
Quand l’art dialogue avec la ville
Deux danseuses de la Troupe de danse moderne du Sichuan donne une représentation sur des chaises lors de l’exposition.
Comment l’art entre-t-il en communication et dialogue-t-il avec la vie urbaine ? C’est aussi le thème de toute cette exposition qui prend Chengdu comme point de départ. Le musée a prévu une seconde saison « Échange de chaises » avec un projet d’art interactif public urbain comportant un concept comportemental intitulé « Remplacer des chaises par des chaises » et des enregistrements documentaires. Il s’agira de rechercher et d’explorer des chaises dispersées dans tous les coins de la ville, et ainsi de partir à la découverte de sa beauté cachée, d’en percevoir les mille facettes, d’explorer l’histoire des transformations de Chengdu depuis plus d’un siècle, ainsi que la vitalité infinie et les histoires émouvantes dans la rénovation urbaine en cours.
« Échange de chaises » est un projet artistique évolutif d’intérêt public. À l’avenir, chaque chaise échangée sera documentée par des artistes, des photographes et des bénévoles sous forme de portraits, d’images et d’histoires. Ces histoires et ces chaises seront exposées en continu au musée, et feront l’objet d’un partage sur une plateforme médiatique. De l’exposition aux quatre coins de la ville, les histoires de chaises se poursuivront sans discontinuer.
*HOU WENWEN est journaliste à Chengdu Culture.
(Photos publiées avec l’aimable autorisation du Musée des beaux-arts Zhi)