Depuis les plus anciennes civilisations humaines, nos cités ont toujours été construites et agencées selon des représentations propres à nos cultures, c’est-à-dire en fonction de notre environnement terrestre, céleste et temporel, en particulier en fonction des trajectoires du soleil et de sa position au moment des équinoxes et des solstices, avec par exemple, pour les églises et les cathédrales françaises, une orientation en général sud-est, donc en direction du soleil levant, les équinoxes et les solstices coïncidant avec les grandes fêtes de nos calendriers traditionnels. Ainsi, l’orientation architecturale de nos villes se place aux racines de nos cultures, avec les représentations de l’homme et de sa cité dans le temps et dans l’espace.
La rue touristique Yandai Xiejie et les Tours de la cloche et du tambour, le 3 avril 2016
La ville de Beijing est bâtie sur un axe nord-sud, avec la Cité interdite au centre, résidence de l’empereur, personne au cœur du fonctionnement de l’empire chinois pendant toute la période impériale. Beijing est la capitale depuis la dynastie des Yuan (1271-1368) jusqu’à aujourd’hui, même s’il n’y a plus d’empereur depuis la chute de la dynastie des Qing, en 1912.
Il nous apparaît en effet que toute la ville de Beijing est organisée selon la personne et la vie de l’empereur, et il est d’ailleurs assez impressionnant de constater le nombre et la surface des édifices et parcs qui étaient réservés à sa vie et à sa cour, aussi bien à Beijing que dans ses environs : la Cité interdite, le Palais d’Été, l’Ancien Palais d’Été, le Temple du ciel, le Temple de la terre et d’autres sites encore. C’est une surface somme toute considérable dédiée uniquement à la vie, à la fonction et aux plaisirs de l’empereur, ce qui illustre bien l’importance de cette personnalité au sein de la civilisation chinoise traditionnelle.
En ce qui concerne la structure architecturale de Beijing, et plus généralement des villes chinoises, force est de constater qu’elles sont construites et orientées selon des axes droits, immenses et rectilignes.
À l’origine de la construction d’une ville chinoise, une « plateforme centrale » était établie comme centre géométrique de la cité. Une fois le point central déterminé, l’emplacement de l’axe central nord-sud de la ville est ainsi naturellement généré. Pour Beijing, les fondations remonteraient à plus de 3 000 ans, et les constructions à plus de 800 ans.
En revanche, l’architecture de Paris et de nombreuses villes françaises semble disposer d’une organisation globale beaucoup moins rectiligne. Cela est dû notamment à la politique française de préservation du patrimoine architectural, qui empêche la destruction des bâtiments historiques, et qui donne un côté plus aléatoire, voire parfois labyrinthique à beaucoup de villes françaises et à Paris en particulier.
Cependant, il faut savoir que Paris est, comme Beijing, bâtie selon un axe central, cette fois-ci est-ouest, au sein duquel les monuments principaux de la ville sont alignés de façon quasi parfaite, avec l’Arc de Triomphe bien sûr, la place de la Concorde, le jardin des Tuileries, l’avenue des Champs-Élysées, la place Charles-de-Gaulle et la Grande Arche de la Défense.
En ce qui concerne la capitale chinoise, on voit bien que les édifices historiques ne sont pas non plus placés arbitrairement, et qu’une logique assez profonde préside à leur disposition. En tant que français résident à Beijing, je ne connais pas parfaitement les codes de l’architecture chinoise, mais ce sujet ne manque pas d’intérêt pour nous.
Illuminations de Noël sur les Champs-Élysées, le 17 décembre 2012
Je pense tout de même à la Cité interdite, que j’ai eu le plaisir de visiter à plusieurs reprises, notamment avec des guides. C’est un palais massif et impressionnant, dont l’architecture est extrêmement codifiée. Un jour, un guide m’a expliqué que la Cité interdite était divisée en deux parties sur ce même axe central, une partie gauche et une partie droite, avec les bâtiments à caractère culturel à gauche, et les bâtiments à caractère militaire à droite, une place symbolique légèrement prépondérante étant donnée au culturel sur le militaire, la culture et le militaire étant les deux piliers de la gouvernance de l’empire, et même de la civilisation chinoise. La culture concernait l’éducation lettrée traditionnelle chinoise, et le militaire les arts de la guerre, comprenant aussi les arts martiaux.
En ce qui concerne l’architecture chinoise, j’ai personnellement remarqué un rapport intéressant entre la structure des caractères chinois et la forme traditionnelle des bâtiments, par exemple en observant les toits courbes des bâtisses chinoises, et en les comparant avec le sommet de caractères tels que « 合 » (l’union ou l’harmonie). Si nous projetons ce caractère en trois dimensions, nous obtenons quelque chose de semblable à un bâtiment de la Cité interdite par exemple. Je pense qu’un tel rapport n’est pas anodin et se rattache notamment à l’esthétique de la civilisation chinoise en général. Si nous regardons les bâtiments français parisiens, qui ont aussi d’ailleurs une assez longue histoire, on constate des toitures plus carrées et saillantes, un peu comme la forme de certaines de nos lettres alphabétiques majuscules qui sont de trajectoire linéaire ou circulaire, tandis que les caractères chinois sont moins linéaires ou circulaires, c’est-à-dire qu’ils sont plus « courbes », ce qui leur confère une harmonie particulière.
Il faut donc aller au-delà des formes et des apparences, et entrer dans la culture propre de cette ville pour comprendre son architecture de façon plus profonde. Les charmes de Beijing, aussi bien que ceux de Paris, ne sont pas étrangers à leur architecture, dont la signification est peut-être plus grande encore que ce que l’on pourrait en penser au premier abord.
L’architecture, ses lois et ses significations culturelles font partie des fondamentaux de nos civilisations. Ils traversent le temps et l’espace, de nos ancêtres jusqu’à nous, presque inchangés, malgré les remous culturels et historiques. Il ne tient qu’à nous de les redécouvrir et d’en comprendre la signification symbolique.
*HUGO MATHE est doctorant à l’Université de Pékin