Eliza Scidmore, une journaliste du National Geographic, avait visité Beijing en 1899. Elle n’avait pas tari d’éloges sur 20 pages pour présenter Beijing sous tous les angles. Ce que j’ai trouvé curieux, c’est que nulle part elle n’utilisait l’expression « axe central ».
C’est en 1996 que venant du Danemark, je suis allé à Beijing, et ce que j’y ai vu était complètement différent.
L’animation du quartier des Tours de la cloche et du tambour, le 23 septembre 2018
Même si je ne savais pas ce qu’était l’axe central à cette époque, rétrospectivement, j’ai essentiellement visité Beijing le long de cette ligne de 7,8 km de long. J’ai d’abord vu la Cité interdite et Jingshan sur l’axe central, mais Eliza Scidmore n’a pas eu autant de chance que moi. Il était en effet impossible d’entrer dans ces lieux durant la dynastie des Qing et les bâtiments de la ville impériale n’avaient pas été ouverts au monde extérieur. Au cours de ces 20 dernières années, Beijing n’a cessé de se développer et de changer, le changement le plus marquant ayant été la construction continue des périphériques avec l’élargissement de la superficie de Beijing.
L’histoire de Beijing m’a toujours fasciné. J’ai très tôt découvert que l’axe central était un lien entre le présent et le passé. La ville ne cesse de se développer et l’Axe central change en conséquence.
La ville qu’Eliza Scidmore a visitée en 1899 ressemble plus à un labyrinthe, un immense complexe architectural relié par son mur d’enceinte. Si elle ne mentionnait pas l’axe central dans son article, c’est sans doute parce qu’elle ne pouvait pas du tout voir cette colonne vertébrale de Beijing, que l’on peut apprécier uniquement si l’on se tient au sommet de Jingshan.
Produits culturels et créatifs consacrés à la culture traditionnelle de Beijing conçus par Lars Ulrik Thom (Photo fournie par Lars Ulrik Thom)
Quiconque connaît l’Axe central de Beijing saura qu’il part de Yongdingmen dans la ville extérieure au sud et s’étend jusqu’à la Tour de la cloche, reliant la ville extérieure, le centre-ville, la ville impériale et la Cité interdite au centre de Beijing comme une épine dorsale. De nombreux bâtiments sont situés le long de cet axe. L’expression « axe central » aurait dû être popularisée avec les Jeux olympiques de 2008. À cette époque, j’avais appris que Yongdingmen à l’extrémité sud avait été démolie dans les années 1950 pour faciliter la circulation. Avec les JO, et afin de refléter l’ordonnancement historique de Beijing, le gouvernement municipal de Beijing avait décidé de la reconstruire. De nombreux experts chinois et étrangers estimaient que Yongdingmen étant l’extrémité sud de l’axe central historique de la ville et que le parc olympique de Beijing (avec plus de la moitié des installations olympiques) était situé à l’autre bout au nord, il fallait la reconstruire, sans quoi, l’Axe central aurait été incomplet.
Produits culturels et créatifs consacrés à la culture traditionnelle de Beijing conçus par Lars Ulrik Thom (Photo fournie par Lars Ulrik Thom)
Une autre raison pour laquelle Eliza Scidmore ne mentionnait pas l’Axe central est qu’on ne l’appelait pas ainsi sous les Ming et les Qing. J’ai vérifié dans les Récits véritables de la dynastie des Qing. Il s’agit d’une compilation de chroniques officielles de la dynastie des Qing. L’expression « route impériale » y est utilisée pour la désigner, car elle a été conçue pour les empereurs.
Qui exactement a commencé à utiliser la terminologie « axe central » en premier ? Certains disent qu’il s’agit du célèbre architecte Liang Sicheng, qui avait très tôt étudié l’urbanisme de Beijing. Au cours de ses recherches, il a utilisé le terme « axe central » pour désigner l’épine dorsale de Beijing. L’axe central et la planification de la ville étaient à l’origine inséparables, mais j’ai découvert que non seulement Beijing possède un axe central, mais que presque tous les siheyuan (habitation à cour quadrangulaire) du vieux Beijing ont également un axe central. Les anciens le définissaient en premier lieu lors de leur construction. Il n’y a rien d’unique dans l’axe central d’un siheyuan, mais il peut clairement définir l’orientation nord-sud de l’habitation. En ce temps-là, on construisait ainsi des habitations pour assurer la ventilation et savoir l’heure grâce à la position du soleil.
Après la chute de la dynastie des Qing, les anciens murs et les portes de la ville de Beijing ont été progressivement démolis. Les portes de la ville qui étaient à l’origine reliées par des barbacanes (wengcheng) et le mur d’enceinte sont rapidement devenues des bâtiments isolés, et l’accélération de la modernisation urbaine pendant cette période a fait de ces anciens bâtiments des monuments emblématiques comme dans les pays occidentaux. La tour de la porte Qianmen en est un exemple typique.
Produits culturels et créatifs consacrés à la culture traditionnelle de Beijing conçus par Lars Ulrik Thom (Photo fournie par Lars Ulrik Thom)
Au début du siècle dernier, la gare ferroviaire de Beijing nouvellement construite se trouvait à côté des remparts de la porte Qianmen. Pour faire face à l’afflux de passagers, le gouvernement municipal de Beijing à l’époque avait décidé de démolir la barbacane, de sorte que la Tour d’archers de la porte Qianmen est soudainement devenue un bâtiment indépendant. Cette rénovation de la porte Qianmen a été dirigée par Curt Rothkegel, un architecte allemand, qui a conçu de nombreux bâtiments emblématiques, mais qui est tombé dans l’oubli aujourd’hui. La Tour d’archers remodelée par Curt Rothkegel est devenue un symbole de la modernisation de toute la ville à l’époque, un peu comme la Tour Eiffel à Paris. Pendant cette période-là, la Tour d’archers de la porte Qianmen était souvent utilisée à des fins de publicité. Aujourd’hui, bien que son statut d’icône se soit effacé depuis longtemps, on peut encore partout acheter des cigarettes de la marque Daqianmen, qui se vendaient déjà pendant les années 1930-1940.
Il existe de nombreuses théories sur l’origine de l’Axe central de Beijing. En tant qu’étranger, il m’est difficile de dire qui a raison et qui a tort, mais mon histoire préférée vient des Chroniques de Xijin sous la dynastie des Yuan. Selon Xiong Mengxiang, son auteur, lorsque Kubilaï Khan établit la dynastie des Yuan, il voulut confirmer si sa dynastie avait été établie selon un axe central orienté vers le nord. Il demanda à Liu Bingzhong, un architecte, qui pointa du doigt un arbre se tenant aujourd’hui à l’extérieur de la porte Tian’anmen. Il dit : « C’est grâce à cet arbre. » Les anciens sages chinois utilisaient souvent l’ombre d’un arbre ou d’un pilier comme référence, et l’ombre la plus longue indiquait le nord.
Si l’on considère la ville de Beijing carrée et droite comme le caractère 口 (kou, bouche) et que l’on y ajoute cet axe central au centre, on obtient le caractère 中 (zhong, centre). L’axe central de Beijing est le symbole central de l’ancienne capitale et le plus long axe central urbain existant au monde. Selon les calculs des générations suivantes, l’axe central de la ville de Beijing délimité par Kubilaï Khan coïncidait essentiellement avec la ligne méridienne, mais il s’en écarte de plus de 200 m à l’ouest de la porte Di’anmen.
Cette déviation ne vient pas du manque d’instruments de mesure dans la Chine ancienne, mais elle est intentionnelle, car plus de 270 km au nord plus loin se trouve Shangdu, l’ancienne capitale de Kubilaï Khan. Selon l’ancien fengshui chinois, on estimait que si la capitale et le palais étaient construits sur les veines du dragon, cela pourrait assurer la sécurité de la société et garantir les récoltes pour toujours. La plupart des bâtiments importants de la famille impériale étaient répartis symétriquement à l’est et à l’ouest. La raison pour laquelle il a établi la capitale à Beijing vient du fait qu’elle se situe au centre, et que cela permettait d’éviter l’endiguement au nord et de contrôler le sud. Un choix excellent dont nous ne pouvons que nous réjouir aujourd’hui.
*LARS ULRIK THOM est fondateur de Beijing Postcards