De même que les humains vivent au bord de l’eau, la planification urbaine dépend de l’or bleu. Au cours des 3 000 ans de construction de la ville de Beijing, l’eau a été pleinement mise en valeur. En l’absence d’abondantes ressources naturelles en eau, les bâtisseurs ingénieux des temps anciens ont eu recours à divers ouvrages hydrauliques, en mêlant habilement les réseaux hydrographiques « naturels » et « artificiels » pour concevoir et créer d’étonnants réseaux fluviaux et lacustres dans la vieille ville de Beijing, faisant ainsi apparaître une parfaite configuration hydraulique urbaine à Beijing qui démontre l’idée écologique des artisans doués en matière d’aménagement, de gestion et d’utilisation des ressources en eau.
La rivière Yuhe et ses paysages enchanteurs sous le ciel limpide de Beijing, le 14 mars 2019
L’équipe du patrimoine culturel hydraulique de Beijing, que je dirige, a profité de l’Exposition sur la conservation des réseaux fluviaux et lacustres historiques le long de l’Axe central de Beijing, qui s’est achevée le 19 juin 2022, pour faire découvrir au public l’influence des réseaux fluviaux et lacustres sur la formation et le développement de l’Axe central. Cette exposition a non seulement présenté les connotations historiques et culturelles et l’état écologique des réseaux fluviaux et lacustres de la vieille ville, mais aussi illustré pleinement l’incroyable sagesse des anciens Chinois en matière d’eau.
À Beijing, les professionnels et le public se sont tous intéressés au système de drainage du Musée du Palais. En effet, les visiteurs ont la chance de voir le spectacle des « mille dragons éjectant de l’eau » dans la Cité interdite sous la pluie. Grâce aux caniveaux et aux drains ouverts et souterrains qui s’entrecroisent et s’interconnectent, la Cité interdite n’a jamais d’eau stagnante, même en cas de fortes pluies, et grâce à la conception du système de drainage vers l’extérieur selon le relief, elle devient un modèle de lutte contre les inondations qui est le fruit de la sagesse et des pensées ingénieuses des anciens.
Le parc Jingshan se trouve juste en face de la porte nord de la Cité interdite. Point culminant de l’Axe central de Beijing, le parc Jingshan est un autre chef-d’œuvre hydraulique urbain. Cette colline, haute d’environ 45 m, ne s’est pas formée naturellement, mais a été empilée par les anciens Chinois. À l’époque, beaucoup de boue a été extraite de la rivière pendant la reconstruction du palais et des douves, et de nombreux déchets ont été générés par la démolition de l’ancien palais. C’est à partir de ces « gravats » qu’un paysage urbain avec « des montagnes et de l’eau » a été façonné par les bâtisseurs. Cette approche simple et intelligente de la transformation écologique revêt une importance pratique à l’heure actuelle. Par exemple, le Parc olympique, situé dans le prolongement nord de l’Axe central de Beijing, a été construit à l’instar du parc Jingshan, créant ainsi un paysage urbain pittoresque. On pourrait dire que cette approche d’adaptation a hérité de l’essence de la culture traditionnelle chinoise et l’a développée au maximum.
Wang Chongchen donne des explications in situ de l’ancien cours de la rivière Yuhe aux élèves de l’École primaire de Fuxue. (Photo fournie par Wang Chongchen)
Près de la Cité interdite et d’un côté de l’Axe central se trouve une petite cité ancienne, Tuancheng. Couvrant une superficie de quelques milliers de mètres carrés, elle ressemble à un bonsaï géant, équipée d’un système performant de collecte et d’utilisation des eaux de pluie permettant aux bâtiments élaborés et aux vieux arbres luxuriants de la ville de tenir debout depuis près de mille ans. Il n’y a pas de bouches d’égout sur les murs ni de drainage du sol, alors où vont les eaux de pluie dans la ville ? Le secret réside dans les briques de pavage spéciales et les couches de sol, les ponceaux et les cours d’eau souterrains. Chaque fois qu’il pleut, les briques hautement absorbantes deviennent un « petit réservoir ». De plus, les briques de forme trapézoïdale ont été posées avec la plus grande extrémité tournée vers le haut et la plus petite vers le bas, laissant ainsi des espaces triangulaires entre elles, ce qui facilite l’infiltration des eaux de pluie dans la couche de sol située en dessous, puis sous les ponceaux et dans les cours d’eau souterrains. Les eaux de pluie si délicatement stockées n’endommagent pas les bâtiments, mais favorisent une végétation qui ne se fane pas pendant la sécheresse et dont les racines ne pourrissent pas pendant la saison des pluies.
La sagesse des anciens transmise pendant des milliers d’années suscite la réflexion de la génération actuelle. Au cours de la planification urbaine de Beijing dans la nouvelle ère, les constructeurs ont consacré beaucoup d’efforts à montrer la vitalité des rivières et des lacs historiques, qu’il s’agisse de maintenir l’emplacement, la forme et les connotations culturelles des réseaux historiques fluviaux et lacustres ou de créer un écosystème où « l’eau et la ville s’intègrent et s’entrecroisent ». La rivière Changhe du Sud, qui est le canal d’eau des réseaux hydrauliques du vieux Beijing, est ouverte à la navigation depuis de nombreuses années. Les visiteurs peuvent profiter des paysages le long de la rivière en bateau et découvrir la culture impériale du Grand Canal Beijing-Hangzhou. En tant que partie importante des réseaux fluviaux et lacustres de la vieille ville, les douves Sud et Nord et leurs rives verdoyantes et anciennes attirent les gens qui viennent observer des oiseaux et des poissons, se promener et faire du sport. Les quartiers d’habitation au bord de la rivière Sanlihe à proximité de Qianmen, situés également sur l’Axe central, ont fait l’objet d’une amélioration et d’un aménagement paysagers afin de restaurer le charme unique des cours intérieures du vieux Beijing, recréant ainsi la belle ambiance de l’harmonie entre l’eau, les rues, les ruelles, les cours et les maisons… Ces patrimoines culturels hydrauliques, étroitement liés à l’Axe central de Beijing, sont comme des perles en héritage qui gagnent en brillance et en charme au fil des ans.
En plus d’apprendre et de réfléchir comme les bâtisseurs de la ville, notre équipe a souvent été fascinée et frappée, au cours de ses recherches, par diverses sagesses anciennes relatives à l’eau. Lorsque nous pensons au cadre de vie clos et sécurisé offert par les murs « rigides » de la ville, nous pensons également à l’« ouverture » et à l’ « inclusion » des lacs naturels qui sont reliés au réseau hydraulique à l’extérieur de celle-ci. Grâce à la conception de la « combinaison de la fermeté et de la douceur », Beijing devient une cité dotée de beauté paysagère, où « le Soleil et la Lune se reflètent sur six lacs, et la capitale est entourée de huit rivières », ce qui en fait une ville majestueuse mais dynamique, emplie du charme de l’harmonie et de l’unité entre l’homme et la nature. Comme le dit l’historien des sciences britannique Joseph Needham dans son livre Science and Civilisation in China, le concept esthétique sur la structure de la ville de Beijing est une « combinaison d’humble affection pour la nature et de poésie sublime ».
Le pont Wanning, le 10 juillet 2021
Au fur et à mesure que nos recherches progressent, de plus en plus de points forts de la culture hydraulique dans les vieux quartiers apparaissent. Qu’il s’agisse de l’approvisionnement en eau, du drainage, de la lutte contre les inondations et du transport fluvial dans les temps anciens, ou du cycle de l’eau et de la construction de paysages dans la ville moderne, la culture hydraulique diffuse une lumière éclatante en matière de résilience écologique.
Les réseaux fluviaux et lacustres du vieux Beijing, qui serpentent depuis les temps anciens, ont non seulement façonné la ville, mais nous ont également laissé d’innombrables patrimoines culturels hydrauliques. Le clapotis de l’eau qui subsiste dans l’histoire attend toujours notre attention et notre réaction constantes.
*WANG CHONGCHEN est professeur à l’École d’ingénierie environnementale et de génie énergétique à l’Université de génie civil et d’architecture de Beijing