Vincent Cazeneuve
L’artiste français Vincent Cazeneuve, très entiché de la laque, s’est choisi le nom chinois Wensen Qi. « Wensen » est la transcription phonétique de son prénom français et « Qi » est le mot chinois pour « laque ».
Né en 1977 à Toulouse, dans le sud de la France, M. Cazeneuve a passé plus de dix ans à travailler la laque dans les montagnes de Chongqing, dans le sud-ouest de la Chine. Ses œuvres ont été exposées dans beaucoup de villes de Chine, de France et de Thaïlande.
Étudier la laque en Chine
Diplômé de l’École des Métiers d’Art de Revel, M. Cazeneuve a étudié l’ébénisterie d’art, puis la marqueterie et la restauration de meubles anciens avant de se spécialiser dans la finition sur bois et la laque. Dans les années suivant ses études, il a monté une petite entreprise de restauration de meubles et de laques.
En 2007, sur l’invitation d’un ami chinois, il est arrivé pour la première fois en Chine. « C’est dans ce voyage que j’ai mis pour la première fois un pied à Chengdu et Chongqing, dans ces premiers instants, j’ai eu la sensation étrange d’être lié à cette partie du monde », s’est-il souvenu.
Un an après, il a décidé de revenir en Chine. Cette fois, il avait pour but d’apprendre la laque auprès d’un maître. En fait, l’art de la laque est un artisanat développé en Chine, connu pour sa difficulté et sa beauté. L’histoire de cet art remonte déjà à plus de 8 000 ans. Grâce à cette expérience, il a appris les connaissances fondamentales de cet artisanat : comment appréhender cette matière, comment prendre soin de ces outils ou éventuellement faire soi-même ces outils. « Ce sont ces moments qui ont structuré toutes mes recherches sur ces savoirs anciens. J’ai enfin trouvé la matière qui me permettrait de développer mon langage artistique propre », a-t-il noté.
Dès lors, il a effectué de nombreux voyages entre la Chine et la France avant de finalement prendre la décision de s’installer en Chine en 2009 pour en apprendre davantage sur la laque.
Une œuvre de Vincent Cazeneuve intégrant de la laque, de l’or et du bambou
M. Cazeneuve s’est déplacé dans les montagnes de Daba à Chongqing. Abondantes en forêts de bambous et en arbres à laque, les montagnes lui offrent un environnement de travail et de vie d’« un autre monde ».
Il a établi son atelier à proximité de ces montagnes grâce au gouvernement local. « Beaucoup de gens s’étonnent de mon choix de vivre dans les montagnes. Je n’ai rien contre la vie urbaine, mais j’ai besoin d’un rapport à la nature plus direct, j’ai besoin de sentir dans ma chair le changement des saisons. De plus, pour mes recherches sur la laque, il est beaucoup plus facile pour moi d’avoir un atelier entouré d’arbres à laque », a-t-il déclaré. Chaque jour, il se promène de chez lui à son atelier en passant par la forêt à laque. Il contemple les arbres à laque, observe leur croissance et écoute les sons de la nature. D’ailleurs, les matériaux de tressage de bambou dont il a besoin sont immédiatement disponibles dans la forêt, ce qui facilite grandement ses expériences créatives.
Ses recherches permanentes sur l’histoire de la laque et des métiers traditionnels qui s’y rattachent ont été un important catalyseur pour son travail. Elles lui ont permis de briser les contraintes des concepts traditionnels et de créer son propre univers. Il s’est progressivement développé une narration et une esthétique propres à partir d’influences occidentales et orientales.
La laque : la matière de tous les possibles
À partir de son langage d’apparence simple, M. Cazeneuve a exploré l’intégration de la laque avec des matériaux comme la toile de ramie, la corde, le bambou, le cuir, ainsi qu’avec des techniques comme la lithographie, l’estampage et la mosaïque, aboutissant à un enchevêtrement de couches et une richesse tactile de la surface.
« Mes outils de création sont plutôt les matériaux ainsi que les procédés qui permettent leurs transformations », a souligné M. Cazeneuve. Il explique que quand il est arrivé à Chongqing, il découvrait tout un monde de matières, de textures et de savoirs, par exemple, la texture poudreuse de la ville, le charbon, la houille, le béton, les pierres des escaliers polies et usées par des millions de pas, la patine donnée aux bambous des porteurs, les paniers des vendeurs de rue maintes fois reprisés de bouts de ficelle et autres lanières en plastique multicolore. « Au niveau des savoirs, il y en a un qui m’intéresse tout particulièrement, c’est le tissage de la ramie. Ce savoir séculaire a été préservé dans l’arrondissement de Rongchang à Chongqing. La toile de ramie est indispensable au travail de la laque, elle permet la stabilisation des supports en bois mais aussi la fabrication de laque sèche. Chongqing a aussi une très grande tradition du travail du bambou, surtout dans l’arrondissement de Liangping », a-t-il détaillé.
Ces deux dernières années, la très ancienne culture de la laque de l’ethnie yi a été au centre des recherches de M. Cazeneuve, car l’utilisation de la laque est ancrée dans tous les domaines de la vie sociale des Yi.
L’exposition « My Side of the Mountain » présentée à la Galerie Dumonteil, à Shanghai (PHOTOS FOURNIES PAR LA GALERIE DUMONTEIL ET VINCENT CAZENEUVE)
Du 7 septembre 2022 au 15 octobre 2022, « My Side of the Mountain », l’exposition personnelle de M. Cazeneuve a été présentée à la Galerie Dumonteil, à Shanghai. Il s’agissait de sa troisième exposition inaugurée dans cette galerie. Avec près de 20 œuvres, dont plusieurs pièces de grande taille, l’exposition englobe ses recherches approfondies sur la culture ancestrale de la laque des Yi, ainsi que son exploration des matériaux et de l’artisanat.
M. Cazeneuve a intégré des matériaux inhabituels dans l’art de la laque, par exemple, de vieux sacs de riz, des paniers de bambou, des feuilles d’or et même une cage à poule ainsi que d’anciennes armures en cuir des Yi. Les clous de l’exposition sont le paravent à cinq panneaux inspiré de la période de l’Art déco et la plus grande pièce de laque en tissu de sac de riz réalisée par l’artiste à ce jour. La texture ébouriffée du sac de riz se reflète dans les feuilles d’or polies, comme une chaîne de montagnes éclairée par le soleil, rocheuse et pourtant fluide comme les vagues de la mer. L’artiste explique que les textures de ces matériaux sont traduites en œuvres visuelles par une série de superpositions, de meulages et de polissages.
Contrairement à beaucoup d’œuvres qui portent souvent un titre, celles de M. Cazeneuve n’en ont pas. Selon lui, ses œuvres sont plutôt abstraites. « Si je les affublais d’un quelconque titre, cela les ancrerait, les enfermerait dans une réalité auxquelles elles n’appartiennent pas, ce qui limiterait leur faculté à être interprétées par chacun », a-t-il remarqué.
Comme M. Cazeneuve l’a dit, son travail ne change pas, il évolue plutôt de façon darwiniste au fil des expérimentations, des échecs et de petites victoires. En ce moment, ses projets de création sont assez portés sur le tissage, et en général sur différentes recherches sur l’histoire de l’industrie textile chinoise.