Culture

Quand la Cité interdite rencontre Versailles
By LI YUN* | Dialogue Chine-France | Updated: 2024-04-09 15:35:00

« Sachant que Votre Majesté désire avoir à ses côtés et dans tout son empire de nombreux savants maîtrisant les sciences européennes, nous avons décidé il y a quelques années d’envoyer nos sujets, six savants mathématiciens jésuites, pour servir Votre Majesté en apportant les toutes dernières connaissances scientifiques. »  

Il y a 336 ans, cette lettre écrite par Louis XIV à l’empereur Kangxi n’atteignit jamais la Chine en raison de la distance. Aujourd’hui, cette missive arrive enfin et ouvre l’exposition « La Cité interdite et le château de Versailles – Les échanges sino-français aux XVIIe et XVIIIe siècles ».  

Du 2 avril au 30 juin, quelque 200 objets provenant de la Cité interdite et du château de Versailles seront exposés dans la salle Wenhua du Musée du Palais impérial à Beijing. Ils retracent les échanges entre la Chine et la France de la seconde moitié du XVIIe siècle au XVIIIe siècle. C’est l’un des événements phares de l’Année du tourisme culturel sino-français, dans le cadre des festivités marquant le 60e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France.  

Guo Fuxiang, conservateur pour la partie chinoise et directeur adjoint du département d’histoire du Musée du Palais impérial, a déclaré qu’en tant que pays d’influence mondiale situés aux confins est et ouest de la Route de la Soie, la Chine et la France ont de tout temps essayé de se comprendre malgré la distance qui les sépare. Une telle démarche a été exemplaire dans l’histoire du développement de la civilisation mondiale en termes d’échanges et d’apprentissage mutuel, et elle conserve encore tout son charme aujourd’hui.   

Une affection cachée dans les détails  

Une montre de poche, qui tient dans la paume de la main, fait partie des collections de la Cité interdite depuis plus de 300 ans. Son boîtier en cuivre doré arbore un portrait en profil de Louis XIV. Un motif à trois fleurs de lys doré, symbole de la royauté française, figure au centre du cadran émaillé. En ouvrant le mouvement, on peut apercevoir un dragon doré à cinq griffes, symbole de l’empereur de Chine, découpé sur le couvercle protecteur du ressort de la montre. « Cette montre est très probablement un cadeau de Louis XIV à l’empereur Kangxi. C’est une preuve physique importante de la relation entre les deux souverains », explique M. Guo. C’est dans ces détails minutieux que réside l’affection tissée au fil des échanges entre la Chine et la France.  

Durant le règne de Louis XV, les artisans français modifiaient les vases de céladon de Jingdezhen et les utilisaient comme flacons de parfum. (Photo : Li Yun) 

Dans une autre vitrine centrale, une verseuse en argent tricentenaire du château de Versailles dégage encore sous la lumière un charmant éclat métallique. « C’est l’un des nombreux cadeaux offerts à Louis XIV par les ambassadeurs du Siam. Le fond est gravé des armoiries royales de France et des trois couronnes utilisées par l’atelier royal d’orfèvrerie », précise M. Guo. Louis XIV, puis le gouvernement révolutionnaire de 1793, ordonnèrent de fondre l’or et l’argenterie, mais cet objet a survécu à deux reprises, devenant ainsi le seul témoin des cadeaux en or et en argent de cette époque. Les motifs gravés sur sa surface contiennent des éléments chinois exquis, comme la fleur de prunier et le bambou. « Il a été confirmé qu’il s’agit d’une pièce d’argenterie d’exportation de la région chinoise de Lingnan », note M. Guo. 

Un rayonnement culturel qui force l’admiration 

La Cité interdite et le château de Versailles sont plus proches qu’il n’y paraît. Ces deux palais de renommée mondiale ont une longue histoire. De la seconde moitié du XVIIe siècle au XVIIIe siècle, ils ont été au centre des échanges humains, d’idées et culturels entre les deux pays. Par leur envergure et leur profondeur, ces échanges ont été un âge d’or entre les cours de Chine et de France. De ce vase en céladon du four de Longquan décoré d’un socle en cuivre doré aux étoffes de satin marquées « Beijing » qui décoraient le mur de la chambre de Marie-Antoinette en passant par un service à thé avec des paysages et des personnages en peinture dorée, tous ces objets venus de loin racontent la fascination de la cour de France pour l’art chinois.   

Montre de poche avec coque en cuivre plaqué or (Photo : Li Yun)  

La Chine, mondialement connue pour sa porcelaine, a aussi un attachement particulier pour celle fabriquée en France. Dans un coin de la salle d’exposition, des « triplés » sont exposés côte à côte. Ils sont tous en émail peint avec des motifs de pivoines et de paniers de bégonia. À première vue, ils semblent identiques, mais un examen plus attentif révèle de légères différences de couleur et de fabrication. En 1775, l’empereur Qianlong ordonna d’envoyer à Guangzhou 10 pièces de porcelaine du règne de Kangxi et de Yongzheng, demandant aux douanes du Guangdong d’en faire une reproduction et d’y apposer la marque « Fabriqué sous le règne de Qianlong ». Il envoya également en France les dessins de fabrication qu’elle souhaitait obtenir afin de passer commande. « Les trois objets exposés, de gauche à droite, ont été fabriqués respectivement en France, sous le règne de Kangxi et sous le règne de Qianlong », explique M. Guo.   

Deux autres pièces de porcelaine en provenance de France sont également présentées. L’une est une théière en émail peint avec des fleurs bleues sur fond blanc. La marque « Fabriqué sous le règne de Qianlong » est inscrite de travers et il manque un trait sur le caractère chinois signifiant « fabriqué », sans doute une erreur des artisans français imitant les caractères chinois. L’autre pièce est une théière en émail peint à motif de chrysanthème selon le modèle de Qianlong. Le rebord intérieur de son couvercle porte la marque d’orfèvre, la marque fiscale et les traces de cachet de la marque de pureté du métal. Ces éléments indiquent qu’il a été fabriqué en Île-de-France en 1783.   

L’apprentissage mutuel en héritage  

Ces échanges culturels ont fait jaillir des étincelles. On sait que Kangxi était très intéressé par les instruments scientifiques. Dans la salle d’exposition, on aperçoit d’abord le cadran équatorial à anneau de cuivre plaqué or, la plupart d’entre eux provenant en effet de France. En continuant, on découvre un compas de proportions en cuivre plaqué or, une pascaline ainsi que des instruments de dessin technique produits par le bureau des manufactures des Qing. « Il s’agit de la version mandchoue des Éléments de géométrie », explique M. Guo en montrant un livre dans la vitrine. Afin d’enseigner les mathématiques occidentales à Kangxi, les missionnaires français Joachim Bouvet et Jean-François Gerbillon ont compilé cette série de manuels en mandchou basés sur les Éléments de géométrie du mathématicien grec Euclide. C’est un matériau précieux pour étudier l’histoire des échanges culturels entre la Chine et l’Occident. 

Comparé aux instruments d’une grande beauté, le Traité général d’agriculture composé par ordre impérial, compilé par l’empereur Qianlong, fait pauvre mine. Joseph-Marie Amiot, un missionnaire jésuite, s’était rendu compte que cet ouvrage pouvait être très utile pour le développement de l’agriculture et l’a envoyé en France. Au XIXe siècle, les sinologues français ont ainsi pu obtenir des informations utiles grâce à l’étude de ce traité. Sont également exposées les porcelaines de style chinois produites par la Manufacture de Sèvres. De couleurs vives, elles sont le reflet de l’apprentissage des techniques de fabrication de la porcelaine chinoise. « Il est à souhaiter que le public puisse comprendre cette histoire des échanges politiques entre la Chine et la France dans le respect et l’appréciation mutuels, ainsi que l’histoire des échanges culturels au cours de laquelle chacun apprend de l’autre », conclut M. Guo.  

« Le château de Versailles et la Cité interdite étaient autrefois le siège du pouvoir et tous deux avaient une influence mondiale. Très peu d’autres palais dans le monde peuvent les égaler », déclare Marie-Laure de Rochebrune, co-commissaire de l’exposition et conservateur général du patrimoine au château de Versailles. Elle compte faire découvrir cette période méconnue mais fascinante des relations sino-françaises aux XVIIe et XVIIIe siècles.  

*LI YUN est journaliste au Guangming Daily. 

Numéro 18 octobre-décembre 2023
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