Culture

Quand Kangxi rencontre Louis XIV
By LI YONG* | Dialogue Chine-France | Updated: 2024-07-16 10:02:00

Joachim Bouvet montre le portrait de Louis XIV à Kangxi (Cliché du film documentaire). 

À l’occasion du 60e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France, le documentaire-fiction sino-français Kangxi et Louis XIV est récemment sorti en salles. Le film raconte les interactions à distance entre Kangxi et Louis XIV et met en scène les échanges sino-français dans les sciences et techniques, le commerce, la pensée et la culture.

L’illustration ci-contre est tirée d’un ouvrage français datant d’il y a 300 ans. Sans explication, il serait difficile pour nos contemporains de croire que ce portrait aux traits occidentaux est en réalité celui de l’empereur Kangxi, alors âgé de 32 ans. Sous le règne de Kangxi, à la fin du XVIIe siècle, les missionnaires européens se souciaient davantage de l’intégration des cultures orientales et occidentales que de l’apparence de l’empereur.

Portrait de Kangxi imaginé par un artiste français au XVIIe siècle 

La naissance du dialogue 

En 1688, une délégation de France munie des instructions de Louis XIV fit son entrée dans la Cité interdite, répondant à une demande de la Chine d’envoyer davantage de scientifiques en Chine. C’est ce que raconte le documentaire-fiction Kangxi et Louis XIV.

Bao Yonghong, la réalisatrice, prévoyait initialement de l’intituler Six mille lieues sur les mers et de raconter l’histoire de l’Amphitrite, un navire marchand de 500 tonneaux qui fut le premier à partir de France pour la Chine. Le grand voilier appareilla de La Rochelle en 1698 avec une cargaison principalement composée de verroterie, de tissus et d’horloges, ainsi que de cadeaux du roi Louis XIV à Kangxi. Plus précieux encore étaient les passagers, les neuf scientifiques du Roi, dont Joachim Bouvet. Il était revenu en France afin d’accomplir la mission que Kangxi lui avait confiée, à savoir ramener huit missionnaires scientifiques en Chine.

À la fin du XVIIe siècle, même le voilier le plus moderne capable de faire le tour du monde devait mettre environ six mois pour arriver de l’Europe de l’Ouest à l’Asie de l’Est. En cas d’incident, le voyage pouvait s’en trouver indéfiniment retardé et les péripéties être multiples.

En rédigeant le scénario, Mme Bao a consulté une grande quantité d’archives. Elle a découvert qu’en racontant ce qui s’était déroulé au cours des dix années précédentes, il serait possible d’élaborer un scénario plus riche et plus intéressant, et de faire le récit de l’arrivée de Joachim Bouvet et de quatre autres missionnaires pour la première fois à Beijing en 1688. C’est aussi l’époque où Louis XIV croyait à tort que la mission avait péri en mer. Il organisa alors une autre mission et écrivit à Kangxi. Le film s’ouvre par cette lettre.

Certains obstacles ont fait que cette deuxième mission n’est pas parvenue en Chine et que la lettre n’a pas été remise à Kangxi. Elle est conservée aux archives du ministère français des Affaires étrangères depuis plus de 300 ans et c’est la première fois qu’elle apparaît sur les écrans chinois.

La valeur d’un documentaire-fiction réside dans la représentation exacte de la réalité. Sans cette lettre manuscrite, il nous serait difficile d’imaginer qu’à l’époque, les monarques de deux pays étrangers aux deux extrémités du monde puissent correspondre, échanger cadeaux, livres et instruments scientifiques, étudier la culture de l’autre et personnellement favoriser les échanges amicaux. C’est par des reconstitutions que ce film redonne vie à ces histoires.

La lettre de Louis XIV à Kangxi prise en photo 

Des missionnaires ouvrent une nouvelle ère 

À lire abondamment sur le sujet, Bao Yonghong a décidé d’étendre le thème du film de l’histoire de l’Amphitrite aux échanges culturels initiés par Kangxi et Louis XIV.

Dans son livre Kangxi, empereur de Chine, Joachim Bouvet livra ses premières impressions du palais impérial : l’endroit où vivait l’empereur Kangxi s’appelait la Cité interdite, qui abritait des palais majestueux, avec des poutres sculptées, des piliers peints, et des toits aux tuiles vertes et aux extrémités relevées.

Il considéra Kangxi comme un monarque d’une grande sagesse, égal à Louis XIV, diligent et intelligent, et doté d’une curiosité naturelle pour les connaissances nouvelles et les cultures étrangères. La tolérance et la largesse d’esprit de Kangxi eurent le mérite de convaincre Joachim Bouvet et Jean-François Gerbillon de rester à ses côtés et de lui enseigner les connaissances occidentales, de l’astronomie, à la géographie et la géométrie, en passant par la philosophie et l’anatomie humaine, disciplines pour lesquelles il fit preuve d’un grand enthousiasme.

Cinq ans plus tard, en 1693, Kangxi ordonna à Joachim Bouvet de rentrer en France pour inviter davantage d’experts dans les mathématiques et les sciences et techniques, en particulier dans les techniques de l’arpentage et de la cartographie. Il lui confia sa collection de porcelaines et de livres en chinois et mandchou pour qu’il les offre à Louis XIV.

Joachim Bouvet revenait en France pour la première et dernière fois. Selon son livre, il décrivit Kangxi auprès de Louis XIV, disant qu’il était son égal, un grand monarque et un grand stratège, probablement l’un des monarques les plus sages de l’histoire. Une sympathie mutuelle entre Kangxi et Louis XIV prit alors naissance malgré la distance, et Joachim Bouvet en fut l’artisan.

Il fallut attendre cinq années pour que Joachim Bouvet reprenne le chemin de la Chine avec huit missionnaires à bord de l’Amphitrite. Ils bravèrent les océans pour parvenir à Guangzhou, complétant ainsi le voyage inaugural de l’amitié sino-française. Kangxi put enfin voir le portrait de Louis XIV que lui offrait Joachim Bouvet et rencontra en quelque sorte son semblable par-delà les mers.

La réalisatrice Bao Yonghong sur le plateau de tournage 

Une influence mutuelle 

Les envoyés de France diffusèrent les techniques occidentales en Chine, tandis que la culture chinoise devenait populaire en France. Kangxi chargea Joachim Bouvet et d’autres de rapporter des classiques chinois en France, ce qui enrichit grandement la bibliothèque royale de Louis XIV. L’engouement à l’égard de la Chine se répandit ainsi dans le cercle des intellectuels.

Le livre Exposé de la science chinoise de Philippe Couplet, qui introduisit pour la première fois Confucius et sa pensée en Occident, fut l’ouvrage le plus important de la sinologie européenne du XVIIe siècle. C’est aussi le fruit des recherches assidues des jésuites en Chine en matière de classiques chinois.

Au XVIIIe siècle, Voltaire fit l’éloge de la pensée de Confucius. Il se prétendait son disciple et aménagea un espace consacré au sage chinois dans sa résidence pour l’honorer. Il étudia le confucianisme et présenta au grand public le système politique et le modèle de gouvernance sociale de la Chine, avec le système des examens impériaux, le système de réprimande, le système de supervision et le règne de la vertu. Il critiqua le contrôle que l’Église catholique exerçait sur la pensée en Occident, espérant tirer des leçons de sagesse de la politique et de la culture de la Chine. Voltaire adapta également la pièce de la dynastie des Yuan L’Orphelin de la famille Zhao qu’il intitula L’Orphelin de Chine. Cette pièce avait été traduite en français par Joseph Henri Marie de Prémare, un missionnaire qui était parti avec Joachim Bouvet en Chine.

Montesquieu, une autre personnalité marquante du siècle des Lumières, rendit visite à plusieurs reprises au Chinois Arcade Huang, le traducteur de Louis XIV, pour en apprendre davantage sur la société et la culture de son pays. Il en tira De l’esprit des lois.

Les leçons des échanges entre les deux civilisations doivent nous forcer à les méditer. Derrière Kangxi et Louis XIV se cache aussi une longue liste d’envoyés qui ouvrirent la voie, entamèrent le dialogue et furent à l’origine d’une ère d’apprentissage mutuel.

*LI YONG est réalisateur de documentaire. 

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