Economie

Le « deux poids, deux mesures » sur la « surcapacité » de la Chine
By JOHN ROSS* | Dialogue Chine-France | Updated: 2024-07-10 15:07:00

Le battage américain sur la « surcapacité » économique de la Chine, en particulier dans les technologies vertes, est absurde, car les États-Unis ne l’appliquent jamais à leurs propres industries et enfreignent tout ce que l’on sait dans le domaine des sciences économiques depuis que cette discipline a été créée, il y a 250 ans.

 

Récolte du soja à Pace, dans le Mississippi, le 7 octobre 2021 

En tant que grand exportateur notamment d’avions civils, de produits agricoles, de biens de haute technologie et d’armement, les États-Unis produisent largement plus que la consommation intérieure ne peut absorber. Mais ils ne parlent cependant pas de « surcapacité » en exigeant des agriculteurs américains qu’ils cultivent moins, de Boeing qu’elle fabrique moins d’avions, des fabricants d’armes américains qu’ils exportent moins, des banques américaines qu’elles réduisent leurs activités (les institutions financières américaines ont affiché un excédent commercial de 113 milliards de dollars), ou des entreprises de R&D américaines qu’elles revoient à la baisse leurs investissements (les recettes au titre des droits de propriété intellectuelle ont généré un excédent extérieur de 82 milliards de dollars). 

De même, la Chine, dans les secteurs où elle est compétitive, comme les produits verts, est devenue un grand exportateur de panneaux solaires, de batteries, d’éoliennes, et de véhicules électriques. Mais le pays est aussi un gros importateur dans des secteurs où d’autres pays sont compétitifs. Dans le domaine des services, la Chine a une position concurrentielle moindre que les États-Unis, et en 2023, l’excédent commercial des services des États-Unis était de 280 milliards de dollars, contre 171 milliards de dollars de déficit pour la Chine. 

Le fait que les États-Unis soutiennent que la Chine devrait réduire ses secteurs prospères alors qu’ils ne le font pas eux-mêmes montre clairement que le discours américain sur la « surcapacité » n’est pas une politique économique objective, mais simplement une tentative mal déguisée d’affaiblir la Chine dans des domaines où les États-Unis ne sont pas compétitifs. 

Les panneaux solaires de Jingyi Seraphim Hebei Energy Technology, dans la zone de développement économique de Zhuolu (Hebei), le 23 janvier 2024 

Considérez la question de manière plus fondamentale. Adam Smith a créé l’économie moderne il y a 250 ans, dans La Richesse des Nations, précisément en analysant ces questions. Il a souligné qu’un pays devenait moins compétitif en visant l’autosuffisance via le protectionnisme, car aucun pays ne peut bénéficier d’avantages comparatifs pour tous les produits. Par conséquent, les pays gagnent en termes de développement et de prospérité grâce à une division internationale du travail dans laquelle ils produisent des produits là où ils bénéficient le plus d’avantages comparatifs et importent d’autres pays dans le cas contraire. Cette division internationale du travail constitue la base du commerce international et les avantages comparatifs sont à l’origine de son énorme développement. 

Il en découle que les échanges commerciaux d’un pays ne seront pas équilibrés dans chaque secteur. Tel pays générera des excédents dans les secteurs où il possède des avantages comparatifs et inversement, tel autre des déficits, dans le cas contraire, exactement comme c’est le cas avec les États-Unis et la Chine. 

Il est donc raisonnable que les organisations internationales demandent plutôt que le commerce global d’un pays soit relativement équilibré, sans excédents ou déficits excessifs de la balance des paiements. C’est clairement le cas de la Chine. En 2023, l’excédent de la balance des paiements de la Chine s’élevait à 1,5 % du PIB, dans une fourchette raisonnable selon les critères internationaux. 

Ce qui inquiète les États-Unis, c’est d’être surclassés dans certains secteurs émergents, en particulier dans les industries vertes promues par la Chine. Mais les États-Unis sont surpassés parce qu’ils décident de consacrer leurs ressources à d’autres choses. 

Les dépenses militaires américaines en 2023 représentaient 3,6 % du PIB (2 % sont préconisés pour les autres membres de l’OTAN). Les dépenses de santé en 2019, avant même l’augmentation due au COVID, représentaient 16,7 % du PIB, contre 11,7 % en Allemagne ou 11,1 % en France. Mais les dépenses de santé aux États-Unis sont incroyablement inefficaces, car l’espérance de vie était de 78,8 ans, contre 81,3 ans en Allemagne ou 82,3 ans en France. 

Réduire les dépenses militaires américaines, même à des niveaux moyens, ou adopter les systèmes de santé d’autres pays, centrés sur les gens, débloquerait des centaines de milliards de dollars pour accroître les investissements américains dans les secteurs émergents verts, comblant ainsi leur retard concurrentiel. Les États-Unis perdent dans la concurrence simplement parce qu’ils allouent leurs ressources vers d’autres dépenses. 

Lorsque les États-Unis disent « Nous avons choisi de dépenser notre argent en armes plutôt qu’en produits verts, par conséquent nous ne sommes pas compétitifs, vous devez donc réduire vos dépenses en produits verts », le reste du monde peut et doit simplement répondre « Non, cela nous sera dommageable. » 

Dans les industries vertes, le monde n’est pas confronté à une « surcapacité » mais au danger d’une offre insuffisante. L’Agence internationale de l’énergie remarque que l’utilisation actuelle de combustibles fossiles à la place de l’énergie verte est trop excessive si l’on veut éviter un changement climatique désastreux. La Chine est le producteur de technologies vertes le plus compétitif au monde, et risque même de ne pas pouvoir répondre aux besoins mondiaux. Ce serait un pas en avant si les États-Unis détournaient les ressources de leur utilisation actuelle pour accroître leur compétitivité et leur production de produits verts. 

L’argument américain de « surcapacité » doit donc être rejeté comme une affirmation égoïste, contraire aux principes fondamentaux des sciences économiques et qui va à l’encontre des intérêts du monde.  

*JOHN ROSS est chercheur principal à l’Institut Chongyang d’études financières de l’Université Renmin de Chine relations internationales 

 

 

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