Soixante années se sont écoulées depuis l’établissement des relations diplomatiques sino-françaises le 27 janvier 1964. Six décennies, c’est à la fois une longue et une courte durée : longue, car les grands hommes à l’origine de l’établissement de ces relations comme le général de Gaulle et le président Mao nous ont quittés ; courte, car ces décennies ne sont qu’un clin d’œil pour la Chine et la France au regard de leur longue histoire et de leur brillante civilisation. À l’occasion du 60e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques sino-françaises, je préfère me focaliser ici plutôt sur l’évolution de la coopération industrielle et économique, précisément sur l’évolution des interactions dans les chaînes de valeur.
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Les trois phases de la coopération industrielle et économique
Chronologiquement parlant, en découpant ces 60 ans en trois phases, soit environ 20 ans par phase, la relation économique et industrielle sino-française a évolué du bas niveau vers le haut niveau via le niveau moyen des chaînes de valeur.
Lors de la 1ère phase, soit à partir de l’établissement des relations diplomatiques, la République populaire de Chine venait de débuter son industrialisation alors que la révolution industrielle avait déjà débuté depuis les années 1820 en France. Quand la France a rencontré la Chine durant cette phase, la France était déjà parmi les économies les plus industrialisées de la planète. Les chaînes de valeur françaises à cette époque-là étaient largement plus avancées que celles de la Chine. Nous pouvons imaginer aujourd’hui quel était l’écart technologique et industriel existant entre les deux durant cette phase : la relation industrielle et économique était naturellement celle de « maître à élève ». Dans la plupart des cas, la France jouait son rôle de « maître », exportant capitaux et savoir-faire vers la Chine alors que la Chine jouait le rôle d’« élève » en recevant capitaux et savoir-faire de la France. C’est aussi la direction des différentes composantes du flux des chaînes de valeur entre la France et la Chine.
La 2e phase correspond à la politique de réforme et d’ouverture initiée par Deng Xiaoping en 1978, laissant rapidement la place à une « Révolution industrielle ». L’industrialisation s’est propagée à une vitesse inimaginable et la Chine a réussi à devenir petit à petit une économie à revenu moyen et de niveau moyen pour les chaînes de valeur vers la deuxième moitié de cette phase. La relation économique et industrielle sino-française a ainsi évolué de manière correspondante, et la direction des flux de capitaux et de savoir-faire a en partie été inversée, à savoir de la Chine vers la France.
La 3e phase a été celle du début de la nouvelle vague d’industrialisation qui a été aussi dénommée la « Révolution industrielle du numérique et du vert », et la « Révolution industrielle de l’intelligence artificielle (IA) » a débuté à partir de la deuxième moitié de la 3e phase. Si lors de la 1ère phase la relation industrielle et économique était automatiquement celle de « maître à élève », et la 2e phase, plutôt « maître ou élève », la 3e phase a vu cette relation s’inverser, la Chine jouant le rôle de « maître » en exportant capitaux et savoir-faire vers la France, alors que la France jouait son rôle d’« élève » en recevant capitaux et savoir-faire de la Chine. Il en est de même pour le niveau et la direction du flux des chaînes de valeur entre la France et la Chine lors de la 3e phase.
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Des exemples de coopération industrielle sino-française
Voici deux exemples représentatifs de cette évolution du niveau et de la direction des chaînes de valeur : l’un concerne la coopération sino-française dans le nucléaire ; l’autre, l’ouverture d’une usine de Huawei en Alsace.
L’année 2023 marquait le 40e anniversaire de la coopération sino-française dans l’énergie nucléaire avec le début de la construction de la centrale nucléaire de Daya Bay dans le Guangdong en 1984. Elle a commencé à être exploitée en 1994. La phase comprise entre 1984 et 1994 relevait du mode de coopération unidirectionnel basé sur le transfert de technologies de la France à la Chine. En 2007, les deux parties ont signé un contrat de coopération et terminé l’enregistrement auprès des autorités de régulation du projet de la centrale nucléaire de Taishan, dans le Guangdong. Elle est exploitée depuis 2019. La phase comprise entre 2007 et 2019 relevait du mode de coopération bidirectionnel. Enfin, la société China General Nuclear Power Corporation a signé un contrat de coopération avec EDF afin d’exécuter un projet de centrale nucléaire au Royaume-Uni, ouvrant la voie au mode de coopération en tierce partie dans le nucléaire.
Un autre exemple représentatif est celui du géant chinois Huawei, qui a annoncé sa décision d’ouvrir une usine en Alsace, du jamais-vu dans l’histoire de Huawei. La production dans cette usine localisée en France commencera en 2025 et visera les marchés français et européens de la 4G et de la 5G. Son champ d’activité porte sur les matériels et les logiciels, ainsi que sur les solutions technologiques. L’objectif de cette usine est de fabriquer un milliard d’équipements en offrant 500 postes de travail par an.
Ces 60 années en trois phases se sont écoulées en passant de l’ancienne économie à la nouvelle économie, du bas niveau au haut niveau des chaînes de valeur, en inversant la direction du flux des chaînes de valeur dans la relation économique et industrielle sino-française. La coopération économique a évolué du modèle basé sur les secteurs de l’industrie traditionnelle, l’agriculture et les services, vers le modèle basé sur les secteurs du numérique et de l’IA, du vert et de la protection environnementale. Le flux des chaînes de valeur entre la France et la Chine a évolué du mode unidirectionnel au mode en tierce partie, via le mode bidirectionnel.
Cette transition est celle passant des trois anciens secteurs que sont l’énergie nucléaire, l’aviation et aérospatiale, et le TGV, vers les quatre nouveaux secteurs que constituent les énergies nouvelles et la protection environnementale, l’économie numérique et l’économie de l’IA, la finance verte et la finance numérique, et la coopération sur marchés tiers en Asie et en Afrique.
Ces 60 années de relation économique et industrielle sont ainsi 60 années d’évolution des interactions sino-françaises dans le cadre des chaînes de valeur.
*ZHAO YONGSHENG est professeur de finances et directeur du Centre de recherche sur l’économie française, chercheur à l’Académie d’Innovation et de Gouvernance globales de l’Université du Commerce international et d’Économie