L’idée de créer le Forum sur la coopération sino-africaine (FCSA) en 2000 a émergé à l’initiative des pays africains, qui cherchaient à coordonner et optimiser leurs relations avec la Chine. Près d’un quart de siècle plus tard, alors que dirigeants et organisations africains se rencontrent à la 9e réunion du FCSA à Beijing, des interrogations persistent sur l’efficacité de ce mécanisme. Cette remise en question est d’autant plus pertinente dans le contexte actuel de multiplication des initiatives, allant de l’Italie aux États-Unis, en passant par la Turquie et la République de Corée, toutes proposant de nouveaux partenariats de développement à l’Afrique. En quoi le FCSA se distingue-t-il ? Définit-il les standards en matière de coopération ? Quels aspects méritent encore d’être améliorés ?
Avec le Sommet de Beijing du FCSA, il est crucial d’évaluer les avancées réalisées et les défis rencontrés depuis sa création, notamment au cours des trois années écoulées depuis la 8e réunion au Sénégal en 2021, et de formuler des recommandations pour l’avenir. Parmi les progrès notables des relations sino-africaines ces dernières décennies, la coopération en matière d’infrastructures et les échanges commerciaux se distinguent particulièrement, avec un rôle prépondérant joué par le FCSA dans ces secteurs.
Coopération en matière d’infrastructures
La Chine est désormais le plus grand prêteur bilatéral de l’Afrique, une position qu’elle n’occupait pas en 2000, bien que dans de nombreux pays africains, elle demeure derrière les institutions multilatérales et, dans certains cas, les prêteurs européens. Cette situation s’explique par des financements chinois souvent plus avantageux que ceux proposés par d’autres nations, en particulier pour les pays africains à revenu intermédiaire, et par une orientation presque systématique vers des projets d’infrastructures.
Pour la Chine, l’Afrique revêt également une importance cruciale, demeurant le deuxième plus grand marché étranger pour ses contrats d’ingénierie, surtout dans le domaine des transports. Avec l’accroissement continu du développement immobilier et de l’urbanisation en Afrique, cette tendance est peu susceptible de fléchir.
En 2022, les banques chinoises ont accordé 994 millions de dollars en prêts à des pays africains, selon la Global China Initiative de l’Université de Boston. Des projets d’infrastructures menés par des entreprises chinoises, comme la route Ngongo-Kimpangu reliant la République démocratique du Congo à l’Angola et l’autoroute Tiébissou-Bouaké en Côte d’Ivoire, ont amélioré la connectivité régionale. Depuis la 8e réunion du FCSA, les partenariats public-privé dominent l’investissement dans les infrastructures, illustrés par l’achèvement en 2022 de la première phase du port en eau profonde de Lekki au Nigeria, un projet financé à hauteur de 1,5 milliard de dollars.
Promotion du commerce africain
La Chine est le principal partenaire commercial de presque tous les pays africains et la première destination des exportations africaines depuis 2009. Le FCSA a joué un rôle clé dans ce développement. Lors de sa 8e réunion, la Chine s’est engagée à importer pour 300 milliards de dollars de produits africains sur trois ans, un engagement sans précédent, surpassant les importations chinoises de 275 milliards de dollars entre 2019 et 2021.
En complément, diverses initiatives ont été annoncées pour faciliter le commerce, comme la mise en place de « voies vertes » pour accélérer les procédures d’inspection et de quarantaine des importations agricoles africaines spécialisées. Ces mesures ont porté leurs fruits, les exportations africaines vers la Chine ayant atteint 286 milliards de dollars entre début 2022 et mi-2024. En outre, des accords sanitaires et phytosanitaires ont été signés pour 16 nouveaux produits agricoles avec 11 pays africains depuis le dernier FCSA.
Bien que dominées par les exportations de pétrole brut et de minéraux, et que la plupart des pays africains maintiennent des déficits commerciaux avec la Chine, ces initiatives témoignent d’une volonté de diversification et soulignent l’impact positif des politiques commerciales actives mises en place par les participants du FCSA.
Malgré ces avancées, trois défis majeurs demeurent, exacerbés par la récente pandémie de COVID-19. Ces défis représentent toutefois des opportunités pour redéfinir les axes de coopération et renforcer les liens entre les pays africains et la Chine, illustrant la dynamique complexe et évolutive de leurs relations.
Hannah Wanjie Ryder (g.) s’entretient avec Wu Peng, ancien directeur général du Département des affaires africaines au ministère chinois des Affaires étrangères, et Rahamtalla Osman, représentant permanent de l’Union africaine en Chine, lors de Development Reimagined à Beijing.
Capacité financière et industrielle
Le principal défi des relations sino-africaines réside dans le manque de financement à long terme provenant tant du gouvernement chinois que du secteur privé. Les fonds concessionnels chinois pour les infrastructures africaines sont insuffisants pour combler les besoins du continent, et peu d’organisations, à l’exception de la Banque africaine de développement et d’Afreximbank, investissent dans des projets infrastructurels ou productifs comme la création d’usines. De plus, bien que les pays africains empruntent davantage au FMI et à la Banque mondiale, ces institutions soutiennent rarement des projets d’infrastructures ou d’industrialisation.
Cependant, l’Afrique aspire à devenir un grand pôle manufacturier mondial d’ici 2063, ce qui nécessite une expansion significative de ses infrastructures et capacités industrielles. La Chine pourrait jouer un rôle accru de deux manières essentielles, premièrement, en augmentant la disponibilité des prêts pour les infrastructures, notamment pour les grands projets transfrontaliers qui soutiendraient les corridors commerciaux africains et la Zone de libre-échange continentale africaine. Bien que de nombreux gouvernements africains hésitent à augmenter leur endettement, canaliser les fonds chinois vers les banques africaines pourrait permettre de réaliser ces projets tout en équilibrant les risques. Les banques chinoises pourraient aussi envisager des instruments financiers innovants tels que les obligations panda, les swaps de devises, ou les instruments à risque partagé pour des projets régionaux.
Deuxièmement, en encourageant la délocalisation d’usines chinoises en Afrique et l’investissement dans la transformation des matières premières locales pour diversifier les exportations africaines vers la Chine. Ces dernières années, les investissements chinois en Afrique se sont diversifiés, notamment dans la construction, l’automobile et la chimie. À la mi-2023, la Chine a financé 25 parcs industriels en Afrique, attirant plus de 620 entreprises, avec 7 milliards de dollars d’investissements et 42 000 emplois locaux. Des entreprises chinoises comme Sinovac et Shanghai Tofflon Sci & Tech investissent déjà dans la production pharmaceutique et la R&D en Afrique.
Renforcer les capacités manufacturières et les compétences locales par la création de pôles régionaux et de centres de formation spécialisés dans des secteurs clés comme les produits pharmaceutiques, l’automobile, l’agroalimentaire et le textile, pourrait aider à surmonter ces défis. Un système commercial préférentiel à l’échelle du continent faciliterait l’exportation de produits à valeur ajoutée vers la Chine, surtout depuis les pays africains plus industrialisés. Ces mesures renforceraient les relations sino-africaines, réduisant la dépendance aux matières premières et créant des opportunités pour l’emploi et le développement des compétences.
Développement vert
Le deuxième défi majeur auquel sont confrontées les relations sino-africaines est de concilier les demandes africaines pour une action climatique ambitieuse avec la nécessité d’une transition juste. Cela inclut la liberté pour les pays africains d’exploiter leurs ressources fossiles étant donné leur faible contribution historique au changement climatique. Depuis 2023, les pays africains visent à augmenter leur capacité en énergies renouvelables de 59 GW à 300 GW d’ici 2030, ce qui exige une expansion significative des installations solaires, éoliennes et hydroélectriques.
Cette stratégie tire également parti des avantages comparatifs de l’Afrique dans le domaine des énergies renouvelables, qui surpassent ceux des combustibles fossiles. Depuis cette dernière réunion, 37 pays africains ont choisi de collaborer avec des acteurs chinois, en tant que constructeurs ou financiers, sur au moins 77 projets d’énergie renouvelable en Afrique, qui généreront potentiellement plus de 27 GW d’énergie verte.
En outre, si l’on encourageait les entreprises chinoises produisant des technologies vertes à s’implanter en Afrique, cela pourrait transformer radicalement les relations sino-africaines, non seulement actuellement mais aussi pour les décennies à venir. Un exemple de cette évolution est l’usine de cellules solaires au Nigeria, construite par l’Agence nationale pour les infrastructures scientifiques et techniques, qui a bénéficié du soutien du Fonds de développement Chine-Afrique. La multiplication de telles initiatives est cruciale pour soutenir cette transition énergétique en Afrique.
Renforcer la coordination africaine
Le troisième défi majeur auquel nous faisons face depuis la 8e réunion du FCSA concerne la coordination du côté africain. Bien que le FCSA soit une initiative africaine, coordonner les contributions africaines à tous les mécanismes s’avère particulièrement complexe. En effet, la majorité de ces mécanismes, y compris le FCSA, fonctionnent sur un mode bilatéral. Il revient donc aux partenaires, comme la Chine, de synthétiser et de suivre la mise en œuvre des demandes. Le manque de coordination africaine entraîne deux problèmes majeurs : d’une part, de nombreux besoins panafricains restent non formulés et, d’autre part, plusieurs gouvernements africains estiment que leurs engagements ne sont pas respectés, faute de moyens suffisants pour suivre les développements dans les autres pays africains.
Depuis 2018, avec l’ouverture du bureau de l’Union africaine (UA) en Chine, la Commission de l’UA a renforcé sa coordination du FCSA, aidée par le coprésident africain. Cependant, davantage d’efforts sont nécessaires pour optimiser cette collaboration. La création d’un comité africain de suivi, incluant la Commission de l’UA, les coprésidents africains du FCSA, et des observateurs comme des représentants de banques africaines, pourrait être envisagée. Ce comité pourrait se réunir tous les six mois pour évaluer les progrès et informer le corps diplomatique africain en Chine et les officiels chinois. En définitive, le FCSA a établi une référence pour les mécanismes et sommets, induisant des changements globaux significatifs et des améliorations notables dans les résultats du développement en Afrique. Relever avec détermination les défis rencontrés permettra au FCSA de poursuivre sur cette lancée, ce qui nécessite des actions concertées tant du côté chinois que du côté africain.
*