Société

L'épopée des éléphants d'Asie
By MA LI | Dialogue Chine-France | Updated: 2021-10-08 14:36:00

Un troupeau de quinze éléphants d’Asie est sorti en mars 2020 de son habitat d’origine à Xishuangbanna, une réserve naturelle nationale située dans la province du Yunnan. En passant par le district de Mojiang à Pu’er, ces pachydermes ont pris la direction du nord et sont arrivés le 16 avril 2021 dans le district de Yuanjiang, à Yuxi. Quittant leur habitat traditionnel, les éléphants d’Asie ont entamé un périple de plus de 1 300 km. Le 12 août 2021, ils sont retournés dans le district de Mojiang, retrouvant leur habitat traditionnel après plus de 110 jours de balade. Ensuite, le troupeau a regagné sa réserve. 

Un éléphant sauvage entre à Zhushan, un village du district de Ning’er (Yunnan), le 7 août 2021. 

Pour assurer la sécurité des humains et des éléphants, la province du Yunnan a déployé plus de 25 000 policiers et employés, accompagnés de 973 drones et épaulés par plus de 15 000 véhicules de secours. Plus de 150 000 habitants ont été évacués et relocalisés, et environ 180 tonnes de nourriture pour éléphants ont été larguées. Ces animaux errants ont enflammé les réseaux sociaux chinois et étrangers. 

Zhang Xiong, chef d’équipe A de vols de drones du détachement de recherche et de surveillance des éléphants d’Asie sauvages de la brigade forestière contre les feux de forêt du Yunnan, a participé à l’opération de protection des éléphants. Pendant plus de 70 jours, lui et son équipe ont surveillé de près les moindres mouvements du troupeau, fournissant des indications de première main pour veiller à la sécurité des hommes et des animaux. 

« Gardien » des éléphants 

Zhang Xiong a été l’un des premiers à rejoindre l’équipe de recherche des éléphants. La saison locale des incendies se terminant fin mai, il devait partir en voyage de noces avec sa femme. « J’aime les éléphants depuis mon enfance. Lorsque j’ai appris que la brigade comptait mettre en place une équipe de recherche des éléphants pour surveiller et suivre les éléphants d’Asie errants, j’ai été le premier à m’inscrire », raconte-t-il. 

Le troupeau d’éléphants sauvages entre dans la plantation de thé Pu’er du village de Zhushan, le 7 août 2021. 

Le 27 mai, M. Zhang est arrivé au site de surveillance du district d’Eshan, à Yuxi, en tant que responsable des vols de drones pour surveiller le troupeau. Après avoir consulté ses collègues et acquis sur Internet les connaissances de base en matière de vol de drone, il a capturé pour la première fois de façon maladroite une scène du troupeau marchant dans les rues. « Piloter un drone est un vrai travail de professionnel qui exige d’être très attentif », commente-t-il. Grâce à son étude sérieuse des techniques de photographie aérienne, M. Zhang a rapidement pris le rôle de chef d’équipe A de vols de drones pour rechercher et surveiller les éléphants d’Asie sauvages qui se déplaçaient vers le nord. « Au moment le plus critique, on ne dormait que quatre heures par jour et parfois on suivait le troupeau d’éléphants sur des dizaines de kilomètres dans les montagnes ». N’ayant aucune connaissance préalable en matière de protection des animaux, il a appris les habitudes des éléphants, ce qui lui a procuré des plaisirs inattendus : « Au sein du troupeau, chacun a sa propre responsabilité. Une éléphante adulte mène le groupe tandis que les mâles jouent le rôle de gardien. Les éléphants subadultes sont espiègles, ils cherchent en permanence de l’eau et de la nourriture. Les jeunes éléphants se battent de temps en temps et les éléphanteaux sont vraiment mignons. Le troupeau analyse souvent l’environnement local avant de partir en quête de la nourriture et de déterminer des itinéraires en vue de protéger les éléphanteaux contre les dangers tout en s’éloignant des zones peuplées. » 

D’après M. Zhang, la surveillance des éléphants d’Asie sauvages ne se limite pas à connaître leur position, l’essentiel est d’observer la distance entre eux et les habitants sur leur passage, afin de prévenir les confrontations entre les humains et les éléphants et de mieux assurer leur sécurité. En outre, il faut enregistrer l’ensemble des activités du troupeau afin de fournir des données pour la recherche scientifique. « En s’appuyant sur les données de surveillance, les experts de l’équipe de commandement planifient un meilleur itinéraire migratoire pour les éléphants en prédéterminant les points de dispersion de la nourriture. » 

Au cours de la surveillance, M. Zhang a suivi plus de 200 fois le troupeau d’éléphants dans les montagnes. Parfois, les mastodontes levaient leur trompe pour saluer les drones, et parfois les « petits » jouaient avec les chiens, les poulets et les chèvres. Mais ils « volaient » aussi les bananes, la canne à sucre, le maïs, etc. « Partout où les éléphants sont passés, les villageois ont été très amicaux avec eux et ont essayé de les laisser manger autant qu’ils le pouvaient. Ils se sont bien entendus. » 

« Cornac » des éléphants 

Le « voyage heureux » des éléphants ne s’est pas toujours déroulé sans heurts. Sur le chemin du retour vers le sud, ils ont rencontré de nombreux obstacles, dont le plus important était de traverser la rivière Yuanjiang. 

Le Yuanjiang, une des plus anciennes rivières du Yunnan, est une ligne de démarcation de l’habitat des éléphants d’Asie. Il est donc un point géographique important pour le troupeau sur le chemin du retour vers son habitat d’origine. 

Les pachydermes ont traversé avec succès le Yuanjiang en période d’étiage en avril. Cependant, au retour, le niveau d’eau de la rivière a augmenté pendant la période de remplissage, empêchant plusieurs fois les éléphants de traverser. Afin de les aider à retourner vers le sud sans encombre, l’équipe de commandement a analysé la situation, avec le soutien d’experts des secteurs de l’eau, des routes, des forêts et des prairies, et a décidé de laisser le troupeau traverser un vieux pont surplombant le Yuanjiang, sur la route nationale 213. Pour ce faire, le gouvernement du district de Yuanjiang a déployé un total de 2 844 véhicules et 6 673 personnes pour renforcer le confinement et le contrôle de l’itinéraire et orienter les éléphants à l’aide de nourriture. 

« Malgré sa richesse en nourriture et en eau, le bassin du Yuanjiang est trop exposé pour que le troupeau d’éléphants y reste longtemps. Une fois la rivière traversée, l’adéquation de l’habitat des éléphants s’améliore grandement », explique Yang Yingyong, chef adjoint de l’équipe de commandement. Le troupeau a dévié de son itinéraire prévu à plusieurs reprises au cours de la relocalisation, mais après treize jours et douze nuits d’efforts conjoints, il a traversé avec succès le vieux pont surplombant le Yuanjiang. 

Shen Qingzhong, membre de l’équipe d’experts sur les éléphants d’Asie migrant vers le nord et ingénieur principal de l’Administration de la réserve naturelle nationale de Xishuangbanna au Yunnan, affirme que dans le passé, les éléphants d’Asie se sont répartis sur une vaste zone allant du bassin du fleuve Jaune au plateau du Yunnan-Guizhou, et que la migration était un comportement normal pour eux. « La migration aide les éléphants sauvages à trouver de nouveaux habitats et à transférer les gènes entre populations », ajoute-t-il. Les troupeaux d’éléphants ont une forte capacité d’adaptation, en accumulant et en transmettant les expériences de chaque traversée réussie d’une montagne et d’un pont, ou celles de l’utilisation des installations artificielles. 

En ce qui concerne la protection des éléphants d’Asie, l’Administration nationale des forêts et des prairies et le gouvernement provincial du Yunnan se sont déjà engagés à promouvoir la construction de parcs nationaux avec une planification globale sur le long terme dans une optique de protection et d’équilibre. D’après Shen Qingzhong, au stade actuel, il est crucial de mettre rapidement en place un système complet de surveillance et de contrôle, et d’utiliser les moyens techniques appropriés pour contrôler efficacement les mouvements des éléphants d’Asie et éviter, dans la mesure du possible, leur migration massive. 

Un modèle de référence pour la protection des espèces 

Chen Fei, membre de l’équipe d’experts sur les éléphants d’Asie migrant vers le nord et directeur du Centre de recherche sur les éléphants d’Asie de l’Administration nationale des forêts et des prairies, indique que dès le début de cet incident, nombre d’experts et de techniciens de la faune sauvage, de l’information et de la communication et d’autres domaines concernés ont participé à la mise en place des mesures de sécurité et à la relocalisation des éléphants : « On travaillait en combinant la recherche et l’application. Une grande quantité de données sur la recherche scientifique, le suivi et l’alerte précoces, et les interventions d’urgence sont conservées au cours du travail, ce qui permet d’accumuler de l’expérience pour mettre en œuvre de façon scientifique et ordonnée la protection et la gestion des éléphants d’Asie à l’avenir. » 

L’odyssée des éléphants d’Asie dans le Yunnan a permis au public national et étranger de connaître, dans une certaine mesure, les réalisations en matière de protection de la faune sauvage et de la biodiversité en Chine au cours des dernières décennies. Il est à noter que le nombre d’éléphants d’Asie sauvages du Yunnan est passé d’environ 150 en 1978 à plus de 300 aujourd’hui et que leur population s’étend encore. Au milieu des années 1990, les éléphants d’Asie du Yunnan n’étaient répartis que dans les réserves naturelles nationales de Xishuangbanna et de Nangunhe. Fin 2020, les zones d’activité des éléphants d’Asie se sont étendues à 55 cantons dans 11 villes de trois préfectures de la province du Yunnan, et un grand nombre d’entre eux habitaient en dehors des réserves naturelles. Les habitants se sont habitués à la présence d’animaux sauvages dans leur village, et leur conscience et leur capacité à protéger la faune sauvage augmentent sans cesse. 

Zhang Xiong et le chef de l’équipe des drones étudient le trajet du troupeau d’éléphants. 

À l’heure actuelle, onze réserves naturelles ont été créées dans les principales zones de répartition des éléphants d’Asie, avec une superficie totale de 509 800 ha. Pour renforcer davantage la protection et la gestion des éléphants d’Asie, le Centre de recherche sur les éléphants d’Asie de l’Administration nationale des forêts et des prairies a été créé en décembre 2019 à Kunming, dans la province du Yunnan. En même temps, la Chine encourage la coopération internationale en matière de protection des éléphants d’Asie. La réserve naturelle nationale de Xishuangbanna a signé des accords de coopération avec trois provinces du nord du Laos, formant ainsi cinq zones de conservation communes d’une longueur totale d’environ 220 km et d’une superficie de près de 133 km2. 

« À l’avenir, des travaux de protection devraient être menés dans la perspective de satisfaire aux besoins des éléphants d’Asie », avance Chen Mingyong, professeur à la Faculté d’écologie et d’environnement de l’Université du Yunnan. Il conseille de construire des habitats dans les zones où les éléphants d’Asie sauvages sont traditionnellement présents. La clé pour maintenir l’équilibre entre les besoins en matière d’habitat des éléphants d’Asie et les besoins de survie et de développement des populations locales réside dans la transformation de l’approche du développement. Dans le futur, on devrait ajuster la structure industrielle de la zone locale axée sur l’agriculture, modifier les modèles d’emploi et développer de façon appropriée le secteur tertiaire tel que le tourisme écologique, de sorte à réduire les contradictions entre les humains et les éléphants, ainsi que le chevauchement d’espace des activités des deux espèces, et de sorte à rechercher une cohabitation plus harmonieuse entre les humains et les éléphants.  

*MA LI est journaliste à La Chine au présent 

  

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