Société

Les mégadonnées comme levier du bas carbone en Chine
By ZHANG JINWEN | Dialogue Chine-France | Updated: 2022-01-14 15:19:00

Récemment, la Chine a établi sa feuille de route écologique, en annonçant vouloir atteindre son pic d’émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 et la neutralité carbone d’ici à 2060. Depuis, Ma Jun, fondateur de l’Institut pour les affaires publiques et environnementales (IPE selon l’acronyme anglais), croule encore plus sous le travail qu’auparavant. 

Inauguration du Forum écologique mondial de Guiyang 2021, le 12 juillet 2021 

Ma Jun est une sommité dans le milieu de la protection environnementale en Chine. On lui doit la compilation de la première base de données nationale et publique sur la pollution de l’eau, cartographiant les rivières et lacs pollués en Chine. En 2014, il a promu, aux côtés d’autres collègues, l’intégration des principes de « surveillance et transparence » dans la nouvelle législation environnementale, ce qui a ouvert un nouveau chapitre dans la lutte antipollution dans le pays. En 2015, il est le premier Chinois à avoir été honoré du prix Skoll pour l’entrepreneuriat social. À présent, au-delà du contrôle de la pollution, il vise l’objectif d’amorcer la baisse des émissions de gaz à effet de serre produites par la société chinoise. 

Recenser les émissions émanant des chaînes industrielles 

Dès 2014, l’IPE a développé, en coopération avec le Conseil de défense des ressources naturelles (NRDC), l’indice CITI pour les chaînes d’approvisionnement vertes, et déjà sept rapports d’évaluation ont été publiés en référence à ce paramètre. Comme nous l’a expliqué Ma Jun, cet indice s’appuie principalement sur des données réglementaires et d’autres informations divulguées respectivement par le gouvernement et par les entreprises, afin d’évaluer de façon dynamique la gestion environnementale menée par les diverses marques dans leurs chaînes d’approvisionnement. Il tient surtout compte des tâches que celles-ci ont mises en œuvre pour se conformer aux normes environnementales, économiser l’énergie, réduire leurs émissions et communiquer leurs performances dans ces domaines. Ainsi, pour obtenir un score élevé, chaque marque est tenue d’adopter des mesures efficaces pour modérer son impact environnemental, ce qui pousse les entreprises impliquées dans les chaînes d’approvisionnement chinoises à respecter la réglementation environnementale et à assumer leurs responsabilités vis-à-vis de notre planète. Tel est le premier pas qu’a franchi l’IPE pour ce qui est du suivi des émissions de gaz à effet de serre. 

« À l’origine, ce nouvel indice CITI était destiné à évaluer globalement la gestion environnementale au niveau des chaînes d’approvisionnement, en tenant compte non seulement du suivi des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi d’autres projets de lutte antipollution couvrant le déversement d’eaux usées, le rejet des gaz d’échappement et le dépôt de déchets solides », nous a confié M. Ma. Mais étant donné l’attention croissante portée aux émissions de gaz à effet de serre ces dernières années, lui et son équipe ont commencé à accorder plus de poids à cette catégorie d’émissions dans le système d’évaluation global. 

Au cours de ses recherches, M. Ma a découvert que les émissions de gaz à effet de serre des grandes marques et des multinationales, concentrées principalement le long des chaînes d’approvisionnement, représentent généralement plus de 70 % du volume total d’émissions de gaz à effet de serre engendrées par les entreprises. Et la Chine, surnommée l’« usine du monde », est elle-même devenue le pays regroupant la majeure partie des chaînes d’approvisionnement mondiales des marques. Suite à la ratification de l’Accord de Paris par Beijing, de nombreuses marques internationales ont pris des engagements pour réduire leurs émissions, mais la plupart de leurs efforts n’ont pas encore atteint les chaînes d’approvisionnement en Chine. C’est pourquoi M. Ma a décidé, sur la base de cet indice CITI, de recenser plus systématiquement les informations relatives aux émissions de gaz à effet de serre issues des chaînes d’approvisionnement. En 2017, l’IPE et le Centre de recherche mondial pour la divulgation des informations environnementales (CDP selon l’acronyme anglais) ont développé conjointement l’indice SCTI (Supply Chain Climate Action), mesurant l’action climat menée dans les chaînes d’approvisionnement. 

Un stand dédié à la neutralité carbone à l’Exposition sur les énergies propres à Beijing, le 20 avril 2021 

« Toutes nos évaluations se fondent sur des données, classées d’après des critères en ligne avec les exigences définies par le ministère de l’Écologie et de l’Environnement de Chine, combinant baisse de la pollution et réduction des émissions de gaz à effet de serre. Nos grilles d’évaluation prennent pour cibles la pollution locale, la consommation d’énergie et l’utilisation des ressources, l’objectif étant d’aider les fournisseurs des entreprises à garantir la transparence de leur bilan au regard des émissions par le biais de cette plateforme unique », a présenté M. Ma. 

Plusieurs marques ont réagi positivement à l’introduction de cet indice, a commenté M. Ma. « Nombre de grandes marques, chinoises et internationales, ont accepté, à tour de rôle, de prendre part à nos évaluations. D’importants fournisseurs tels que Huawei, Dell, Lenovo et Foxconn nous ont également rejoints. Ceux-ci exercent une vive influence sur les fournisseurs se trouvant en amont des chaînes industrielles. » 

Le 23 octobre 2020, l’IPE a publié les résultats de l’évaluation 2020 basée sur l’indice SCTI à l’occasion du Forum 2020 sur l’action climatique et les chaînes d’approvisionnement écologiques. Le rapport montre que, malgré l’épidémie de COVID-19 qui a gravement perturbé les chaînes d’approvisionnement mondiales, un groupe d’entreprises précurseurs n’a pas levé le pied dans sa lutte contre le réchauffement climatique. Sur les 540 marques chinoises et étrangères apparaissant dans le classement, 108 ont commencé à encourager leurs fournisseurs à comptabiliser annuellement leurs émissions de gaz à effet de serre, soit une hausse considérable de près de 70 % sur un an. Par ailleurs, 37 marques exhortent leurs fournisseurs à divulguer ces données, soit une hausse substantielle de 54 %. 

Le XIVe Plan quinquennal et les objectifs à long terme à l’horizon 2035 du gouvernement chinois ont avancé des exigences spécifiques pour la transition vers la neutralité carbone en Chine. M. Ma et son équipe ont mis à jour leur système d’évaluation en conséquence. « Nous venons de mettre à niveau l’indice SCTI et de le renommer CATI (Climate Action Transparency Index, ou indice de transparence de l’action climat). Avec notre évaluation revue et corrigée, il est à présent possible de jauger en parallèle les entreprises le long des chaînes d’approvisionnement et les entreprises axées sur la production. » 

Favoriser la transformation bas carbone des entreprises chinoises 

« À l’heure actuelle, beaucoup de grandes firmes en Chine ont pris des mesures pour parvenir à l’objectif “zéro carbone”. Mais dans l’ensemble, les entreprises chinoises ont encore un long chemin à parcourir », a fait remarquer M. Ma. Dans le rapport d’évaluation CITI pour les chaînes d’approvisionnement vertes publié par l’IPE en 2020, Huawei et Lenovo sont les seules sociétés chinoises classées parmi les 50 premières entreprises opérant en Chine qui figurent au classement. 

Le recensement des émissions de gaz à effet de serre soulève de nombreuses questions d’ordre technique. « Par exemple, comment délimiter les sources de rejet des entreprises ? Comment calculer le volume des émissions de gaz à effet de serre ? Ces interrogations appellent des connaissances métier pointues. » Selon M. Ma, maintes entreprises ne sont pas en mesure de maîtriser leurs émissions, par manque de technologies. Elles peuvent bien sûr recourir à des sociétés de conseil qui se chargeront de faire les calculs à leur place, mais le coût des prestations classiques est très élevé. Des dizaines de milliers de PME, bien que volontaires, n’ont tout bonnement pas les moyens, financièrement parlant, de concourir à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. 

Afin de résoudre ce problème, l’IPE et le Groupe de travail sur les gaz à effet de serre urbains de Chine ont conjointement mis au point la Plateforme de bilan carbone des entreprises chinoises, apte à fournir des services de comptabilisation des émissions au profit de marques actives dans 24 secteurs, notamment : la production d’électricité, l’acier, le charbon, le gaz naturel, les métaux non ferreux et la fabrication du papier. « Cette plateforme a pour but d’accompagner les entreprises dans le calcul de leur empreinte carbone, en recourant à des moyens numériques. Nous continuons d’optimiser cet outil avec l’espoir qu’à l’avenir, nous pourrons aider les entreprises à définir leurs objectifs de réduction des émissions sur la base de ces données de référence, à se comparer à d’autres organisations modèles et à déterminer la trajectoire à suivre pour limiter leurs émissions, pour qu’elles puissent dresser leur feuille de route vers la neutralité carbone. » 

Une foule d’entreprises chinoises ont pris parti pour cette plateforme. Certaines ont défini les jalons à atteindre dans leur démarche progressive vers la neutralité carbone. « À l’avenir, nous prévoyons d’exploiter pleinement les technologies dernier cri (comme les plateformes de services Big Data et l’intelligence artificielle) pour aider davantage les entreprises à identifier et à suivre les risques que leurs diverses activités occasionnent sur l’environnement, la santé et la sécurité. Dès lors, elles pourront plus aisément amorcer la conversion écologique de leurs opérations commerciales et de leurs chaînes de valeur. » 

Participer à la construction bas carbone de la société chinoise 

Outre les chaînes d’approvisionnement, M. Ma et l’IPE s’intéressent à une problématique plus large : comment abaisser le volume des émissions de gaz à effet de serre en Chine ? 

Dès 2019, l’IPE a commencé à esquisser une carte répertoriant les pics de concentration des gaz à effet de serre dans les villes chinoises. Fin 2020 est paru le premier rapport d’évaluation basé sur l’indice des pics de carbone dans les villes chinoises, qui fait état de la situation des émissions de CO2 et d’autres gaz à effet de serre dans les diverses provinces et villes du pays, en exposant clairement le volume des émissions cumulé, par habitant et par unité de PIB. 

« La Chine a besoin d’un système d’évaluation scientifique et rigoureux pour que la société puissent mieux comprendre les progrès accomplis dans la lutte contre le changement climatique et la transition vers la neutralité carbone. » 

Profitant du fait que le développement durable et bas carbone a le vent en poupe, nombre d’agences de notation ont commencé à adopter les critères EGS (environnementaux, sociaux et de gouvernance) dans leurs comptes rendus. « La Postal Savings Bank of China et d’autres institutions ont intégré dans leur système de contrôle des risques notre évaluation dynamique des performances environnementales des entreprises. Par ailleurs, nombreuses sont les entreprises qui reprennent nos données pour procéder à la notation des obligations vertes. »  

ZHANG JINWEN • journaliste à China Pictorial 

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