Société

Une boulangerie silencieuse et des propriétaires allemands
By DENG DI | Dialogue Chine-France | Updated: 2022-04-27 16:52:00

Uwe et Dorothee Brutzer (au centre) célèbrent leur 20e anniversaire de mariage avec leurs employés et amis de la boulangerie Bach à Changsha, le 18 janvier 2017.

  

Au début de chaque journée de travail, Uwe Brutzer écrit les ingrédients nécessaires à la fabrication du pain et des desserts du jour, ainsi que la quantité qu’il désire, sur un tableau dans la cuisine de la boulangerie Bach. Pendant les heures de travail, hormis le bruit des machines, la cuisine est particulièrement ordonnée et silencieuse. 

  

L’atmosphère calme des quelques boulangers employés ici n’est pas due à une sorte de règle interdisant de parler, mais plutôt parce qu’ils sont tous malentendants. Ils sont dévoués, attentifs et professionnels dans leur emploi, et ils utilisent la langue des signes pour communiquer entre eux de temps à autre. 

  

La boulangerie Bach est située au 34, rue Xiangchun, dans la ville de Changsha, province du Hunan (sud de la Chine). On y trouve différents types de pain, de gâteaux et de café ayant principalement des saveurs allemandes. Grâce à ses viennoiseries vendues à prix raisonnables tout en étant généreusement farcies, sans trop de crème ni de sucre, la boulangerie a conquis la population locale. Par ailleurs, cette étonnante histoire d’un Allemand qui a ouvert une boulangerie pour aider les personnes handicapées attire l’attention de clients venus de toute la ville afin d’acheter du pain et soutenir la cause de cet établissement. 

  

Uwe Brutzer et son épouse Dorothee Brutzer dirigent la boulangerie depuis une décennie. Ils l’ont lancée avec l’intention de créer plus d’emplois pour les personnes handicapées de la localité. 

  

Une vie qui a du sens 

  

Il y a plus de 20 ans, Uwe Brutzer, alors dans la vingtaine, poursuivait une carrière dans la chimie en Allemagne. Après s’être mariés, lui et sa compagne Dorothee ont entendu parler d’un projet d’intérêt public visant à offrir une formation linguistique aux enfants sourds-muets de la province chinoise du Hunan, celle-ci manquant de formateurs. Animés par le désir commun de faire quelque chose de significatif dans leur vie, les jeunes époux ont décidé de postuler. Pour renforcer leur profil professionnel, ils ont passé deux ans à étudier le chinois et à suivre des cours d’enseignement spécialisé. Ensuite, ils ont tenté leur chance et ont été acceptés. En mars 2002, ils sont partis pour le Hunan et se sont installés dans son chef-lieu, Changsha. 

  

Là, ils se sont installés dans un dortoir du centre de réadaptation de la Fédération des personnes handicapées du Hunan (FPHH). Uwe Brutzer se souvient encore comment chaque jour, avec d’autres formateurs, lui et sa femme aidaient les enfants à améliorer leur audition et leur prononciation. Chaque petit progrès des enfants était un grand encouragement pour lui. 

  

La plupart des élèves de la FPHH étaient, à cette époque, de jeunes enfants amenés par des parents inquiets. Dans leur travail, Uwe Brutzer et sa femme ont rencontré de nombreux enfants qui se sont rétablis au fil du temps après avoir suivi une formation et ont ensuite pu fréquenter des écoles publiques ordinaires comme d’autres jeunes n’ayant pas de difficultés auditives. La plupart d’entre eux ne souffraient pas de perte auditive sévère, et ils coopéraient activement avec les formateurs. En outre, leurs parents attachaient une grande importance à cette formation. Mais d’autres élèves devaient intégrer des écoles spécialisées après une formation en réadaptation. Néanmoins, ils pouvaient recevoir un bon enseignement. 

  

Après avoir aidé des enfants malentendants pendant près d’une décennie, Uwe Brutzer a découvert que de nombreux adultes malentendants étaient confrontés à des défis encore plus compliqués que les enfants. Incapables de communiquer facilement avec les autres, ils n’avaient aucune compétence professionnelle et il leur était difficile de s’intégrer dans la vie sociale normale et d’être indépendants. 

  

C’est alors que Uwe Brutzer a eu l’idée d’ouvrir une boulangerie pour les former. Après réflexion, lui et sa femme ont décidé de passer à l’action. « Nous avons trouvé un chef pâtissier allemand et l’avons invité à Changsha pour m’apprendre, ainsi qu’à d’autres apprentis, comment faire du pain », explique-t-il. 

  

À ce jour, la boulangerie Bach a formé une trentaine d’apprentis malentendants, dont plusieurs sont restés travailler dans l’établissement. Cependant, celui-ci n’est pas assez grand pour les accueillir tous, certains boulangers qualifiés ont donc décroché un emploi dans d’autres boulangeries et hôtels et ont pu vivre en toute autonomie, ce qui leur a donné plus de confiance dans la vie. 

  

« Pour l’instant, aucun de mes ex-étudiants n’a ouvert sa propre boulangerie », précise Uwe Brutzer. Démarrer une boulangerie nécessite beaucoup plus de travail que de « simplement » cuisiner. En conséquence, sans l’aide de la famille ou d’amis, c’est un objectif hors de portée pour les boulangers malentendants. 

  

Ceux qui sont restés à la boulangerie Bach bénéficient d’une bonne aide sociale. Leur assurance sociale est fournie par la boulangerie et ils reçoivent un salaire mensuel, même dans le contexte difficile du COVID-19. 

 

Uwe Brutzer et sa femme Dorothee profitent d’une journée enneigée à Changsha en décembre 2021.

  

La valeur d’un modèle 

  

« Lorsque ma femme et moi sommes arrivés à Changsha il y a 20 ans, il n’y avait pas de programme gouvernemental suffisant pour soutenir les malentendants. Maintenant, nous voyons de plus en plus de programmes gouvernementaux allant de l’enseignement spécialisé à la planification de carrière. Nous sommes ravis de cela », confie Uwe Brutzer. Il ajoute que grâce à l’organisation réussie des Jeux paralympiques de Beijing en 2008, de grands progrès ont été réalisés pour aider les personnes handicapées. 

  

En mars 2022, cela a fait 20 ans que le couple vit dans le Hunan, et alors qu’il vient d’entrer dans la cinquantaine, Dorothee s’ennuyait de sa ville natale. Uwe a donc décidé de respecter son souhait et de retourner avec elle en Allemagne. 

  

Tous deux ont mené une existence simple et confortable pendant deux décennies en Chine, dont ils sont très satisfaits. Leurs parents et leurs frères et sœurs restés au pays ont également beaucoup soutenu leur travail en Chine, en particulier la mère de Uwe qui, de son vivant, répétait souvent que tout le monde devrait faire quelque chose de significatif dans sa vie pour aider les autres. 

  

« Quand ma mère était encore parmi nous », se souvient Uwe Brutzer, « chaque fois que nous lui rendions visite, elle me disait de retourner en Chine le plus tôt possible. Les parents de ma femme ont également été très favorables à ce que nous faisions en Chine. » Ses parents et ceux de Dorothee étaient pris en charge par leurs frères et sœurs. Ce soutien familial a renforcé la détermination du couple à poursuivre leur activité de l’autre côté du monde. 

  

Par ailleurs, ce travail a gagné le soutien de nombreuses personnes en Chine. Un jour, quelqu’un a même payé toutes les dépenses pour rénover la boulangerie, ce qui a aidé Uwe Brutzer à créer un environnement de travail plus confortable. De plus, grâce à une large couverture par les médias chinois, beaucoup d’internautes ont découvert la boulangerie Bach et son histoire inspirante. En conséquence, de nombreux résidents de Changsha ainsi que des visiteurs d’autres régions du pays viennent y acheter leurs produits. 

  

Uwe Brutzer a déclaré que cette couverture médiatique l’a fortement encouragé et a contribué à stimuler les activités de la boulangerie, ce qui a permis aux employés d’obtenir des salaires plus élevés. Mieux encore, grâce à ces reportages, davantage de personnes ont pris conscience que les personnes handicapées travaillent tout aussi bien que les autres lorsqu’elles bénéficient de l’égalité des chances. 

  

Face aux remerciements sincères des gens, le boulanger allemand reste modeste. Il estime que ce que lui et sa femme ont fait n’a rien d’extraordinaire. S’ils en avaient été capables, ils auraient consacré plus de temps à la formation et à l’embauche de davantage de personnes handicapées, comme celles ayant une déficience intellectuelle, qui ont plus de difficultés à trouver un emploi. Uwe Brutzer espère que le gouvernement encouragera les entreprises à offrir des opportunités d’emploi aux personnes handicapées grâce à des incitants fiscaux. 

  

Aujourd’hui, alors que Uwe et Dorothee se préparent à retourner en Allemagne, ils ont trouvé un couple d’Allemands enseignant en Chine pour leur succéder et ont confié la boulangerie à une organisation d’aide sociale publique. Leur souhait est de continuer à dispenser des formations gratuites aux malentendants et que la boulangerie ne devienne jamais commerciale. 

  

En mai, Uwe Brutzer et sa femme rentreront dans leur pays natal. Ayant appris qu’ils allaient quitter la Chine, de nombreux habitants de Changsha se sont rendus à la boulangerie pour exprimer leur gratitude pour les 20 années de service désintéressé. Uwe Brutzer a déclaré que les enfants qu’ils ont formés, la nourriture et les habitants du Hunan, le soleil dans la rue Xiangchun et les merveilleux moments de célébration de Noël et de la fête du Printemps avec le personnel sont à jamais gravés dans sa mémoire et dans celle de sa femme. 

  

En ce qui concerne leur travail après leur retour en Allemagne, ils chercheront des opportunités de former des personnes handicapées dans leur ville natale. Même si la boulangerie Bach est sur le point d’être reprise par d’autres personnes, elle restera toujours dans leur cœur. 

  

  

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