La goélette française Tara rentre en Europe après une escale à Dakar au terme de deux ans d’étudier les microbes marins et leur rôle critique dans les écosystèmes marins dans l’Atlantique Sud, le 3 septembre 2022.
Je suis en charge depuis 2004 de la direction opérationnelle des expéditions Tara, cette goélette française destinée à la recherche scientifique et à la protection de l’environnement marin qui est déjà partie à la rencontre de plus de 55 pays et a effectué plus de 250 escales sur tous les océans. Ancien marin professionnel, et biologiste moléculaire de formation à la tête de la Fondation Tara Océan depuis 2009, j’ai pour objectif de protéger la biodiversité marine face aux pollutions. Je préside enfin l’association Plateforme Océan & Climat depuis 2017, qui réunit plus de 104 institutions, fondations, entreprises, collectivités et associations autour d’un plaidoyer pour la place de l’océan au sein des enjeux relatif au climat et à la biodiversité.
Je dirige Tara et cette goélette navigue à travers la planète depuis 20 ans et on a eu la chance de faire escale à Xiamen où nous avons rencontré le bateau de recherche océanographique de l’Université de Xiamen. Nous avons eu la chance de faire escale il y a six mois à Cape Town où nous avons eu l’occasion de collaborer avec des chercheurs de l’Université de Cape Town et de former 25 étudiants en océanographie sur ce que l’on fait à bord du bateau et de partager. Je pense que le dialogue France-Chine-Afrique est nécessaire pour répondre à l’enjeu que nous pose l’océan aujourd’hui.
Culturellement, nous n’avons pas tous la même perception de l’Océan, de sa fragilité, de ce qu’il nous apporte. On a tous des approches très différentes face aux enjeux de l’océan. L’Océan souffre énormément depuis 30-40 ans de la température, de la pollution et de la pression de la pêche. C’est le dernier réceptacle de tout ce qu’on produit, de tout ce qu’on jette dans la nature, dans les fleuves, tout cela arrive dans la mer. Il faut le dire et le redire, l’Océan souffre de la pollution chimique, de la pollution plastique, de la surexploitation. On pêche trop et mal. Ces écosystèmes souffrent. On doit aujourd’hui trouver un chemin commun en termes de timing, d’approches, pour faire de cet océan qui souffre aujourd’hui un océan prospère demain.
Une sculpture de lynx ibérique fabriquée avec des déchets plastiques lors de la Conférence internationale des Nations Unies sur les océans 2022 à Lisbonne, du 27 juin au 1er juillet 2022.
Cela passe par les échanges et le dialogue et il y a urgence à échanger, à dialoguer, et non pas que des Européens et des Américains entre eux, mais aussi de savoir ce que les pays d’Afrique, les pays d’Asie, et la Chine, pensent de ces enjeux. Quelle est votre vision ? Tant que nous n’arriverons pas à créer ce dialogue de société civile, de scientifiques, en marge du dialogue des États, on n’arrivera pas à trouver des solutions communes à la protection de l’Océan et à sa soutenabilité et sa durabilité.
Aujourd’hui, on a devant nous de grands enjeux qui vont nécessiter un dialogue courageux, honnête, que ce soit sur l’exploitation minière des grands fonds, qui est un sujet sur lequel la France a pris position récemment, il faut discuter et trouver un accord sur cette question-là. On a l’enjeu de « 30 by 30 », à savoir protéger 30 % des océans d’ici 2030 : c’est demain. Comment le faire ensemble, où le faire, comment protéger les eaux de l’Antarctique, comment protéger ces eaux qui sont très loin de nous et finalement où l’on va peu, où il y a peu d’enjeux économiques aujourd’hui, et où pourtant il y a beaucoup de bénéfices à en tirer si on les protège autour de l’Antarctique.
Il y a l’enjeu du Traité Plastique, qui a vu le jour cette année. Comment être ambitieux, et être à la hauteur de notre génération et de notre destin commun. Je crois que cela passe par le dialogue et par l’écoute, par la compréhension mutuelle. Nos points de vue sont différents, nos approches et notre science aussi, mais on peut les surmonter à l’instar de la décision, il y a six mois, à l’OMC à Genève, une mesure sur l’arrêt des subventions publiques à la surpêche et la pêche illégale a été votée. C’est un dialogue qui a pris 20 ans. Il faut aller plus vite aujourd’hui. Une initiative a été discutée entre l’académie des sciences de Chine et l’académie des sciences européennes sur la création du International Panel on Ocean Sustainability. Sans en faire un « GIEC de l’Océan », nous avons besoin d’un processus de dialogue scientifique sur l’Océan, ses mutations et ses usages, et comment concilier tout cela.
*ROMAIN TROUBLÉ est directeur général de la Fondation Tara Océan