Société

Rencontres amicales avec Belmondo père et fils
By DONG CHUN* | Dialogue Chine-France | Updated: 2024-04-07 10:39:00

Paul Belmondo et son fils Jean-Paul Belmondo  

Belmondo père et fils, l’un, célèbre sculpteur français, l’autre, comédien de grand renom, occupent une place notable dans les annales des personnalités ayant contribué à renforcer les liens d’amitié entre la Chine et la France.

À l’occasion de ce 60e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France et de l’Année du tourisme culturel sino-français, il m’est donné de partager les rencontres avec Jean-Paul Belmondo et Paul Belmondo que mon époux, l’écrivain chinois Shen Dali, et moi avons eu le plaisir de faire. Ces rencontres sont liées à la réalisation par Paul Belmondo d’un portrait en bas-relief du Premier ministre Zhou Enlai. Malgré le fait qu’il n’avait jamais visité la Chine et n’avait qu’une admiration lointaine pour sa civilisation, l’artiste français a su capturer l’essence de ce pays oriental, alors encore mystérieux. C’est là une preuve de son talent et de sa sensibilité artistique.

Une grande période d’échanges 

La fin des années 1950 marquait le début du rapprochement entre la France et la Chine nouvelle. Des figures emblématiques des sphères culturelles et politiques ont commencé à visiter la Chine, ouvrant la voie à un dialogue constructif et à des échanges enrichissants entre les deux nations.

En 1958, le général de Gaulle a exprimé son intention de mener une politique d’indépendance. Cette volonté s’est concrétisée six ans plus tard, le 27 janvier 1964, par l’établissement des relations diplomatiques avec la République populaire de Chine.

Vers la fin des années 1970, la politique de réforme et d’ouverture de la Chine a suscité un intérêt croissant parmi les étrangers désireux de travailler dans ce pays.

Cette période a été marquée par d’intenses échanges entre la France et la Chine. Du côté chinois, les intellectuels ont eu l’opportunité de découvrir d’autres horizons, notamment la France. C’est ainsi que Shen Dali a passé trois ans à Paris en tant que fonctionnaire international au siège de l’UNESCO. Pendant cette période, il a achevé son roman Les Enfants de Yenen, qui a suscité un grand intérêt après sa diffusion à la radio et à la télévision françaises. Plusieurs personnalités du monde culturel, dont l’écrivain et sinologue René Étiemble et l’écrivaine britannique d’origine chinoise Han Suyin, ont souhaité le rencontrer.

Han Suyin jouissait d’une renommée internationale. Ses nombreuses œuvres étaient publiées en France, dont une biographie de Zhou Enlai. C’est grâce à elle qu’un portrait en bas-relief de l’homme d’État chinois a vu le jour dans les rues de Paris. Dans les années 1970, lors de son passage dans la capitale française, elle a proposé à la ville de rendre hommage à Zhou Enlai par une plaque commémorative, en souvenir de son séjour en France entre 1922 et 1924. La municipalité a accueilli favorablement cette proposition et a choisi l’artiste Paul Belmondo pour réaliser ce projet, sous le patronage de la ville de Paris.

Shen Dali et Dong Chun au Jardin du Luxembourg 

Un sculpteur renommé admiratif du Premier ministre chinois 

Très tôt, Paul Belmondo s’est profondément investi dans la vie de l’École des Beaux-Arts de Paris et a été nommé Grand massier des sculpteurs. À cette époque, il a noué une amitié avec Shen Dali, grâce à Emmanuel Roblès de l’Académie Goncourt. Tous deux rendaient souvent visite au sculpteur dans son atelier parisien, situé avenue Denfert-Rochereau.

Lorsque Paul Belmondo a été chargé de sculpter le portrait en bas-relief de Zhou Enlai, Shen Dali et Emmanuel Roblès ont pu observer l’artiste à l’œuvre. L’ambassade de Chine en France a fourni au sculpteur français une photo de face de Zhou Enlai, ce qui a posé un défi à Belmondo, car les images de profil sont généralement préférées pour ce type de travail.

Paul Belmondo, un lève-tôt, commençait ses journées par un petit déjeuner dans un café en face de son atelier avant de se plonger dans son travail. Pour répondre à cette commande, il a travaillé jusque très tard le soir pendant deux semaines.

Le 16 octobre 1979, le portrait en bas-relief de Zhou Enlai a été dévoilé sur un mur d’un petit hôtel situé au 15 rue Godefroy du 13e arrondissement de Paris. La cérémonie d’inauguration a eu lieu en présence du président français Giscard d’Estaing, du Premier ministre chinois Hua Guofeng et du maire de Paris Jacques Chirac. Plus d’un millier de personnes s’étaient rassemblées sur la place d’Italie pour l’occasion. Belmondo, cependant, avait visité le site le matin et était parti discrètement avant l’arrivée de la foule.

Shen Dali, témoin de l’enthousiasme suscité par l’œuvre de Belmondo, a partagé ses impressions à l’artiste plus tard. Celui-ci a répondu : « J’en suis très heureux ! J’ai réalisé ce travail en urgence, car le temps me manquait. Dans d’autres circonstances, j’aurais sculpté une statue grandeur nature pour mieux exprimer la personnalité captivante de Zhou Enlai. Je reste profondément admiratif de votre ancien Premier ministre. C’est avec un vif plaisir que j’ai accepté cette commande, et j’en suis très fier. À travers lui, j’exprime mon amitié pour le peuple chinois. »

L’affiche du film L’As des as  

Une amitié avec la Chine de père en fils 

Artiste de tempérament latin, Paul Belmondo était fasciné par l’art oriental, un intérêt qu’il a partagé avec Shen Dali. Il aspirait à voir les statues bouddhistes des grottes de Yungang à Datong (Shanxi), dont il avait vu des images à la télévision. Ce site avait d’ailleurs été visité par le président français Georges Pompidou lors de son voyage en Chine en septembre 1973. En 1981, l’écrivain chinois a sollicité Zhou Yang, alors président de la Fédération des artistes de Chine, pour inviter Paul Belmondo. Tout était prêt pour son accueil, mais malheureusement, Belmondo est décédé le 1er janvier 1982, à l’âge de 84 ans. La France perdait un artiste éminent et la Chine, un grand ami.

Plus tard, Shen Dali s’est rendu devant la tombe de Belmondo, non loin de celle de Jean-Paul Sartre. L’écrivain chinois lui a dédié plusieurs articles, dont À la mémoire de Paul Belmondo et L’Œuvre d’un grand artiste. Jean-Paul Belmondo, le fils cadet de l’artiste, s’est rendu spécialement à l’ambassade de Chine en France pour récupérer ces articles publiés dans la presse chinoise.

À l’automne 1995, une équipe de tournage de la télévision de Shanghai s’est rendue à Paris pour réaliser le documentaire Sur les pas des géants. Ce téléfilm visait à retracer le parcours en Europe de jeunes révolutionnaires chinois qui sont devenus plus tard les principaux fondateurs de la République populaire de Chine. Le petit hôtel parisien où se trouve le portrait de Zhou Enlai figurait dans la liste des lieux de tournage. Mais personne ne savait qui était l’auteur de l’œuvre.

Lorsque le réalisateur shanghaien a entendu parler de l’amitié entre mon époux et Paul Belmondo, il m’a demandé de le mettre en contact avec le fils du sculpteur. J’ai donc décidé de tenter d’obtenir une entrevue avec Jean-Paul Belmondo. Je me suis rendue au théâtre des Variétés, où je savais que le comédien se produisait régulièrement et dont il était propriétaire à cette époque.

L’idée de rencontrer Jean-Paul Belmondo enchantait toute l’équipe shanghaienne. J’ai été surprise par l’enthousiasme du personnel de la réception du théâtre lorsqu’ils ont écouté mon discours sur Belmondo père et le portrait en bas-relief de l’ancien Premier ministre chinois à Paris. Mes démarches se sont avérées fructueuses : un rendez-vous de trente minutes a été accordé à l’équipe chinoise au 7 Boulevard Montmartre, dans le 2e arrondissement de Paris. Le jour venu, l’équipe de tournage s’est installée dans la salle verte aux murs tapissés de velours rouge bordeaux où devait avoir lieu l’interview avec Jean-Paul Belmondo.

Notre attente était joyeuse et pleine d’anticipation, lorsqu’une voix chaleureuse a retenti depuis l’entrée : « Mes excuses pour ce retard ! ». Avec un chiot sur l’épaule et un sourire radieux, la grande star s’est présentée devant nous. J’ai servi d’interprète pour l’interview, et nous avons immédiatement commencé notre travail.

« Mon père était bien l’auteur du portrait de votre ancien Premier ministre ! », a-t-il confirmé. « Il y a mis tout son cœur, je vous assure. Il était parfois songeur [...] quand il pensait à Zhou Enlai. Un jour, il nous a confié : “Je veux concentrer davantage de lumière sur le visage de Zhou Enlai pour refléter son monde intérieur et mettre en relief sa vitalité et son esprit” ».

Interrogé par le réalisateur chinois sur la réaction de son père face à cette mission peu commune, Jean-Paul a révélé que son père était très fier de réaliser ce portrait, d’autant plus qu’il était né la même année que Zhou Enlai. Il a ajouté que durant cette mission, l’univers chinois était très présent dans leur famille et qu’ils étaient presque tous devenus admirateurs de la Chine.

En prenant congé de l’équipe chinoise, Jean-Paul Belmondo, agréablement surpris d’apprendre qu’il était plus connu que son père en Chine, notamment grâce au film L’As des as, a exprimé sa gratitude envers le peuple chinois de ne pas avoir oublié l’œuvre d’art réalisée par son père il y avait 17 ans de cela. Il a déclaré : « Mon plus grand souhait est de faire connaître l’œuvre de mon père. J’aimerais organiser une exposition en Chine. C’est lui le grand artiste, pas moi ! »

Les rencontres amicales entre la famille Belmondo et des acteurs clés de la relation sino-française soulignent l’importance cruciale des liens personnels dans la diplomatie culturelle. Elles démontrent également que la culture et l’art sont des vecteurs puissants de compréhension et de paix entre les peuples.

Bien que nous vivions sous le même ciel, nos pays possèdent des civilisations radicalement différentes. Les efforts à long terme, visant à transmettre des connaissances, à améliorer les conditions de vie des populations et à favoriser un développement mutuel, sont indéniablement bénéfiques pour les relations entre nations aux traditions différentes.

*DONG CHUN est membre de l’Association des écrivains de Chine, membre d’honneur de l’association des Journalistes professionnels français, traductrice, lauréate du prix Lu Xun pour la traduction littéraire (Chine 2001) et Chevalier de l’ordre des arts et lettres (Paris, juillet 1991).

 

Numéro 18 octobre-décembre 2023
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