À l’occasion de la visite d’État en France du président chinois,
« Il y a plus de 150 ans, des Français ont participé au développement de la construction navale au Fujian et à la création de l’École navale du Fujian. La France a été l’un des premiers pays à accueillir des boursiers gouvernementaux chinois », écrit-il.
Une coopération à toute épreuve
Au cours de l’automne 1863, le gouvernement des Qing nomma Zuo Zongtang gouverneur du Fujian et du Zhejiang pour administrer le sud-est du pays. Zuo Zongtang était profondément conscient de la faiblesse extrême de la défense côtière depuis la première guerre de l’Opium. Afin de renforcer la défense du pays, il décida de créer un arsenal naval à Fuzhou (Fujian), ville qui disposait d’une solide base dans la construction navale ainsi que dans la navigation et les études navales.
L’Administration maritime était la seule agence administrative du pays créée par le gouvernement des Qing à cette époque pour gérer spécifiquement les affaires liées à la marine moderne. En 1866, l’Arsenal naval du Fujian naissait, prenant en charge la construction de navires de guerre, une école navale, la formation technique et l’envoi d’étudiants à l’étranger.
La tour de l’horloge de style français dans le district de Mawei (Fuzhou)construite en 1926
Dès le début, Zuo Zongtang demanda de l’aide aux Occidentaux pour les connaissances techniques et l’achat de machines, estimant que l’ingénierie navale française était avancée. Il embaucha Prosper Marie Giquel comme superviseur en chef et Paul-Alexandre Neveüe d’Aiguebelle comme adjoint, et avec des techniciens et des ouvriers français, ils créèrent l’arsenal tout en enseignant les techniques de construction navale aux apprentis et maîtres artisans chinois.
De décembre 1866 à 1874, Prosper Marie Giquel consacra toute son énergie au développement de la construction navale et de la flotte chinoise. Grâce aux efforts conjoints des techniciens étrangers et de tous les ouvriers chinois, l’Arsenal du Fujian construisit 15 navires à vapeur, dont le Wannianqing, le premier bâtiment de guerre de 1 000 tonnes, et le Yangwu, la première corvette d’Asie.
C’est en raison de sa contribution aux échanges sino-français que le buste de Prosper Marie Giquel est exposé au Musée de la culture maritime de Chine dans l’arrondissement de Mawei, aux côtés de portraits de l’élite navale, et d’archives.
Bien que l’Arsenal du Fujian n’ait pas réussi à construire le plus grand navire de guerre du monde, il a appris à développer indépendamment ses capacités de recherche et développement dans les navires à vapeur en apprenant de l’Occident.
En 1918, la marine du gouvernement de Beiyang a de nouveau choisi Mawei pour en faire le berceau de l’industrie aéronautique et de l’aviation navale moderne en Chine.
La coopération sino-étrangère à l’Arsenal du Fujian a ainsi permis le transfert de technologies industrielles modernes de l’Occident vers la Chine. Elle a aussi été le premier exemple réussi de coopération sino-étrangère après la guerre de l’Opium, accumulant une expérience précieuse pour les échanges entre la Chine et l’Occident.
Musée de la culture maritime chinoise dans le district de Mawei (Fuzhou), le 2 mai 2024
Fondation de l’École navale
Pour Zuo Zongtang et ses contemporains, il s’agissait en priorité d’obtenir une aide technique extérieure afin de permettre à la Chine d’acquérir les compétences dans la construction navale pour parvenir à l’indépendance technologique. Ainsi, parallèlement à la construction de l’arsenal, une école navale a été fondée.
Il s’agissait de la première université de style français de l’histoire chinoise. Les principales disciplines enseignées étaient les sciences naturelles et les technologies modernes, en se basant sur les systèmes académiques, les cours, le matériel pédagogique, les méthodes d’enseignement et de gestion occidentaux. Des enseignants étrangers étaient recrutés et des étudiants chinois envoyés à l’étranger. Un système d’enseignement supérieur fut développé et des étudiants d’élite formés. L’École navale joua un rôle important dans la formation de personnels hautement spécialisés et dans la promotion des échanges culturels entre la Chine et l’Occident. Prosper Marie Giquel facilita et organisa d’ailleurs personnellement l’envoi d’étudiants en France et au Royaume-Uni pour en faire l’initiative la plus précoce et la plus efficace en Chine. Furent ainsi formés un grand nombre de talents dans les derniers développements des sciences et technologies, de l’armée, de la diplomatie, de l’éducation et des sciences sociales, comme Yan Fu, Wei Han, Chen Jitong, Ma Jianzhong et Wang Shouchang, contribuant de manière exceptionnelle à la modernisation de la Chine.
Au début de l’été 1877, 18 diplômés méritants de l’École navale, dont Wei Han et Chen Zhao’ao, se rendirent en France pour étudier la construction navale, l’exploitation minière, et l’électricité. En se rendant en France pour explorer les moyens de sauver le pays grâce aux sciences et technologies, ils réalisèrent également que la culture chinoise ne pouvait pas se reposer sur ses lauriers et devait se mondialiser.
En 1884, Chen Jitong, un spécialiste de la construction navale du Fujian qui avait étudié en France, compila ses nombreuses conférences dans Les Chinois peints par eux-mêmes et publia l’ouvrage à Paris, ce qui fit sensation en France. Ses ouvrages comme Le théâtre des Chinois, Les plaisirs en Chine et Mon pays, notamment traduits en anglais, en allemand, en italien et en danois, furent réimprimées à plusieurs reprises. De la poésie à la pensée collaborative, Chen Jitong fit tout ce qu’il put pour promouvoir la culture chinoise. Il est ainsi connu pour être la première personne à avoir propagé les études chinoises en Occident. Alors qu’il vivait en Europe, Chen Jitong prononça également de nombreux discours sur le thème de la Chine. En 1889, il donna une conférence à l’Université de la Sorbonne. Romain Rolland le consigna ce jour-là dans son journal, qualifiant Chen Jitong de « très français, mais encore plus chinois ».
Par ailleurs, Yan Fu traduisit des œuvres de renommée mondiale comme La richesse des nations d’Adam Smith et Évolution et éthique de Thomas Henry Huxley, et Wang Shouchang traduisit La dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils, qui devint le premier roman étranger à être traduit et introduit dans la Chine moderne. Les étudiants de l’École navale favorisèrent la diffusion des études chinoises en Occident, la diffusion du savoir occidental et l’intégration des cultures chinoise et occidentale, et écrivirent une page classique dans les échanges culturels sino-français.
René Viénet et des invités étrangers et chinois inaugurent l’exposition « Le rêve chinois d’un Français » pour commémorer le 150e anniversaire de la fondation de l’Administration maritime du Fujian, le 23 décembre 2016.
Un esprit toujours vivace
L’Arsenal du Fujian permit pour la première fois l’introduction de technologies, d’équipements, de méthodes de gestion et de personnels occidentaux de haut calibre, l’envoi du premier groupe d’étudiants chinois en Europe, l’ouverture de la première école d’enseignement de langues occidentales et la publication de la première traduction en chinois du roman français La dame aux camélias.
Les échanges amicaux entre la Chine et la France en relation avec l’Arsenal du Fujian se poursuivent. Dans les années 1980, le sinologue René Viénet découvrit l’Arsenal du Fujian grâce aux journaux de Prosper Marie Giquel. Lors de sa visite à Fuzhou en 2006, il fut ébloui par Mawei et dès lors, voyagea à travers le monde pour recueillir des informations sur la navigation dans le Fujian, et étudier et propager la culture de la construction navale. En 2016, l’exposition « Le rêve chinois d’un Français » a été présentée sur l’ancien site de l’École navale. Parmi les pièces exposées se trouvaient des objets utilisés pour la construction navale du Fujian que René Viénet avait passé dix ans à rassembler dans le monde entier.
Ces dernières années, la ville de Fuzhou et l’arrondissement de Mawei ont assuré la protection et la restauration du site. Le 18 janvier 2023, la zone centrale de la Ville de la culture de la construction navale de Chine, située sur le site centenaire, a été ouverte au public. Elle présente des scénarios intégrés de conservation et d’utilisation combinant production, visites, étude, formation et recherche scientifique, et montrant comment l’histoire navale moderne de la Chine est devenue un jalon spirituel dans l’industrialisation du pays.
La culture navale est un pont et un lien important dans l’histoire des échanges sino-français. Il est à souhaiter que davantage de jeunes chinois et français poursuivent sur cette voie, marchant sur les pas de leurs aînés dans les échanges scientifiques, technologiques et culturels entre la Chine et la France.
*CHEN YUE est président de la Société d’études sur la culture navale de Mawei (Fujian).