Les peluches Menglan attirent l’attention au CIFTIS 2024 au parc Shougang à Beijing, le 13 septembre 2024.
Alors qu’une tasse de café à une quinzaine de yuans peut les faire hésiter, une tasse à café en peluche à 360 yuans ne les fait pas reculer. Beaucoup de jeunes Chinois se tournent désormais vers les « dépenses émotionnelles », accordant plus de valeur à l’impact psychologique des objets qu’à leur utilité matérielle.
Le 21 septembre, au centre-ville de Shanghai, un « café » spécial est inauguré sous l’enseigne de Jellycat, un fabricant britannique... de jouets. Comme on peut s’en douter, les produits à base de café et autres pâtisseries ne sont pas servis en tant que boissons ou desserts, mais sous forme de peluche. Dans ce magasin éphémère sur le thème du café, le prix d’un Amuseables Yulania Latte est de 359 yuans, de même pour un Taro Cake ; les vendeurs mettent en scène l’emballage des articles comme s’il s’agissait de véritables gobelets et pâtisseries, allant jusqu’à imiter l’ajout de crème au café et le nappage sur le gâteau.
Le magasin a gagné une telle popularité que l’entrée nécessite une réservation. Pour ceux qui réussissent à obtenir une place, le temps d’achat est limité à quinze minutes, pendant qu’une longue file d’attente de clients patiente dehors. « Ce n’est pas facile d’obtenir une réservation, et le magasin est rempli de jeunes de mon âge », partage Mlle Xie, une cliente de 26 ans, au Shanghai Daily. « L’intérieur est décoré comme un monde de contes de fées, et la préparation des articles fait penser au jeu de la dînette. Ceux qui ne l’aiment pas peuvent trouver cela niais, mais ceux qui l’aiment s’amusent et y trouvent vraiment une valeur émotionnelle. »
Une nouvelle tendance de consommation
Les jouets en peluche sont devenus une nouvelle tendance parmi les jeunes en Chine ces dernières années. Chez Jellycat, les peluches s’en trouvent souvent en rupture de stock, malgré l’augmentation des prix. Le prix d’une aubergine est passé de quelque 300 yuans à plus de 600 yuans, et celui d’un hamburger a triplé en quelques mois. Dans la boutique phare de Jellycat sur la plateforme de commerce électronique Taobao, l’ours Bartholomew à 459 yuans a enregistré plus de 80 000 ventes jusqu’à présent, soit plus de 3 000 par mois, et le lapin Bonnie à 999 yuans a été acheté par plus de 20 000 personnes.
Le Rapport annuel 2023 sur la protection des droits des consommateurs en Chine publié par l’Association chinoise des consommateurs avait déjà remarqué cette tendance à acquérir une valeur émotionnelle, prédisant que la libération émotionnelle serait un facteur important à prendre en compte dans les décisions de consommation de la jeune génération en 2024. De nombreux consommateurs sont prêts à dépenser des dizaines de milliers de yuans pour collectionner des jouets, ce qui a fait grimper le prix de certains produits. Des données récemment publiées par l’Association chinoise des jouets et des produits juvéniles montrent que les personnes nées entre 2000 et 2010 constituent le principal groupe de consommateurs sur le marché des jouets en peluche, représentant 43 %, suivies de près par celles nées dans les années 1990, qui représentent 36 %.
« La plupart d’entre nous, nés dans les années 1990, sont enfants uniques. Les jouets en peluche étaient pour beaucoup des compagnons d’enfance, et même adultes, nous sommes toujours attirés par les peluches mignonnes », confie Han Yufei, une jeune de 27 ans qui vit à Beijing. « Le toucher doux est très réconfortant lorsqu’on a essuyé des revers au travail et dans la vie. »
Yufei a une peluche panda, un cadeau d’anniversaire de sa mère pour ses sept ans. Elle l’a toujours gardée à ses côtés, l’amenant même à Beijing où elle a fait ses études universitaires et travaille actuellement. Outre le panda, elle a récemment pris goût aux fruits et légumes en peluche. « Par rapport à des animaux comme les pandas, les fruits et légumes sont plus fréquents dans notre quotidien, je les trouve donc plus proches de nous », explique-t-elle.
Avec la montée en popularité de la fondue épicée de Tianshui (Gansu) plus tôt cette année, le musée du Gansu s’en est inspiré pour lancer une série de jouets en peluche. Un bouquet de brochettes de champignons, de boulettes de pommes de terre, de fleurs de brocoli et de morceaux de chou se vend à 69 yuans. Des membres du personnel mettent ces ingrédients dans une casserole, également en peluche, pour simuler la cuisson avant de les servir aux clients quelques secondes plus tard. Cette tactique de marketing a fait du musée du Gansu une destination prisée par les jeunes touristes.
Une collection personnelle de peluches, à Beijing, le 29 décembre 2021
Vers une économie des émotions
Sur Xiaohongshu, une plateforme lifestyle chinoise, de nombreux jeunes expliquent comment ils considèrent leurs jouets en peluche comme compagnons dans la vie, les emmenant avec eux au restaurant, au travail et en voyage. Certains ont même créé des comptes de réseaux sociaux pour leurs jouets, partageant le quotidien de ces derniers.
Un homme trentenaire, appelé « Head of Bread Village » sur cette plateforme, raconte souvent ses anecdotes avec ses deux animaux en peluche, un paresseux nommé Bread et un hérisson. Lors d’un voyage en Espagne en juin dernier, il avait perdu Bread et avait publié un avis de recherche dans lequel il exprimait son attachement à la peluche sur un ton larmoyant. De nombreux internautes se sont joints à la recherche, et beaucoup d’autres ont suivi de près l’affaire tout en s’épanchant sur leur passion pour les peluches. Un jour, Bread a été retrouvé, un heureux dénouement qui a fait sensation un temps au sein de cette communauté, et a même stimulé les ventes du modèle.
En plus des jouets en peluche, une variété de produits conçus pour soulager le stress et libérer les émotions ont conquis le cœur des jeunes consommateurs. Et certains d’entre eux n’existent que sous forme virtuelle. « Le cerveau d’Einstein », par exemple, s’est fait une place dans le classement des dix meilleures marchandises de 2023 sur Taobao, une première pour un article virtuel. Les acheteurs de ce produit espèrent trouver la motivation et augmenter leur matière grise grâce au pouvoir de l’autosuggestion.
Selon les données de Tianyancha, l’un des principaux fournisseurs d’informations d’entreprise en Chine, il existe actuellement plus de 3 700 brevets liés aux « émotions » sur le marché. Cela montre que les entreprises orientent de plus en plus leur stratégie commerciale vers la valeur émotionnelle.
Nan Yu, chercheuse associée à l’Institut d’économie de l’Académie des sciences sociales de Chine, souligne que les jeunes consommateurs d’aujourd’hui recherchent, au-delà de simples produits, ce que l’on pourrait appeler un « massage émotionnel ». « La nouvelle philosophie de consommation adoptée par les jeunes, qui investissent volontiers dans la valeur émotionnelle, incite continuellement les entreprises à innover et à créer de nouveaux scénarios de consommation, indique-t-elle, cela conduit à l’émergence d’une économie des émotions qui fait la différence. »
*YUAN YUAN est journaliste à Beijing Information.