Le 25 novembre 2020, l'Ambassadeur Lu Shaye a participé à la visioconférence sur les relations Chine-France-Afrique organisée par la Fondation Prospective et Innovation (FPI). Voici les extraits des questions-réponses.
1. Q : La coopération entre les entreprises françaises et chinoises en Afrique mérite d’être développée davantage. Il y a des obstacles à surmonter, par exemple une certaine atmosphère de méfiance qui existe entre les entrepreneurs français et chinois, qui peut provenir d’une application différente des règles de compliance ou de conformité, d’une aide qui peut être au profit d’une entreprise chinoise mais qui est interdite en Occident, ou du transfert de propriété de certains actifs au profit des entreprises chinoises à la suite de l’exercice de garanties quant à un certain nombre de prêts chinois qui ne peuvent pas être remboursés. Pour améliorer cette atmosphère de confiance, une adhésion ou un rapprochement de la Chine à l’OCDE pourrait être un signe très fort. En participant à l’OCDE, on suit les règles de l’OCDE et on a les mêmes règles du jeu. Qu’en pensez-vous de cette question ?
Lu Shaye : Il existe en effet un grand potentiel de coopération tripartite entre la Chine, la France et l’Afrique. Comme l’a dit tout à l’heure le Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin, la France et l’Afrique sont liées par un destin historique. La Chine et l’Afrique sont liées aussi par un destin historique. Nos trois parties ont donc beaucoup de choses à faire. Si on coopère, tout est possible. Surtout dans le contexte économique international actuel, la coopération Chine-France-Afrique est encore plus nécessaire. Le continent africain possède le plus grand potentiel en termes de développement. Si on donne à la jeunesse africaine de la formation et aide l’Afrique à avoir une main-d’œuvre plus qualifiée, cela va donner beaucoup d’impulsions au développement du marché africain doté d’un milliard d’habitants, et donner un élan immense à la croissance africaine.
La coopération Chine-France-Afrique a démarré il y a seulement quelques années. On a obtenu des résultats encourageants, mais cela reste insuffisant. J’ai déjà évoqué dans mon discours les obstacles qui empêchent l’approfondissement de cette coopération, par exemple les différences de normes et de vision. Comment résoudre ces problèmes ? Par la compréhension et le respect mutuels. On ne peut pas prétendre que telle ou telle norme ou vision prime sur d’autres, même si c’est vrai que les pays européens sont développés de manière plus en avant que la Chine, et donc les normes européennes sont plus élevées que celles de la Chine. L’Afrique se trouve à l’aube du décollage de son industrialisation. Peut-être les normes de la Chine sont plus adaptées à la réalité de l’Afrique. Mais nous ne prétendons jamais que les normes ou les visions de la Chine sont meilleures que celles de l’Occident.
Vous avez évoqué tout à l’heure l’adhésion de la Chine à l’OCDE. L’OCDE est un club de pays développés et la Chine est un pays en développement. Nous ne sommes pas membre de l’OCDE, mais nous sommes un partenaire principal de l’OCDE. Nous ne sommes pas d’accord avec toutes les règles et normes de l’OCDE, même si la Chine en a appliqué une partie. La Chine a participé au Centre de développement de l’OCDE. Donc on peut faire des échanges sur les normes et les visions pour trouver un point d’équilibre ou créer ensemble de nouvelles normes qui sont mieux adaptées à la réalité africaine.
2. Q : Nous avons quelques plateformes et structures qui permettent une meilleure coopération entre les entreprises françaises et chinoises. Mais c’est vrai qu’on n’a pas de network ou d’organisation entrepreneuriaux à destination de l’Afrique. Nous avons le Conseil d’entreprises franco-chinois qui réfléchit sur un certain nombre de sujets. On pourrait envisager d’avoir une plateforme qui permettrait aux entreprises françaises et chinoises en Afrique de se parler, de se rencontrer, et au fond de construire cette confiance dont nous parlons. Qu’en pensez-vous de cette idée ?
Lu Shaye : Le Conseil d’entreprises sino-français est une bonne plateforme de discussions et de réflexions pour résoudre les problèmes dans notre coopération bilatérale ou trilatérale. Il faut lui faire jouer son rôle. La question que vous avez évoquée mérite notre réflexion. Nos trois parties ont besoin de nous mettre à la table pour discuter des problèmes qui existent dans la coopération tripartite en Afrique. Il faut travailler à résoudre ces problèmes qui empêchent l’approfondissement de notre coopération, pour que cette coopération très prometteuse puisse se développer encore plus rapidement. Je suis tout à fait d’accord avec l’idée du Premier Ministre de créer une task force pour s’attaquer à ces problèmes.
3. Q : La Chine a participé au traitement international de la dette en Afrique dans le cadre de G20, ce qui a été salué très généralement. Les banques publiques de développement françaises ont aussi collaboré avec les banques publiques de développement chinoises. Pour progresser davantage dans la coopération de traitement de la dette en Afrique, il y a besoin de la transparence qui est la condition de la confiance. Est-ce que la Chine est disposée à aller plus loin dans la transparence de ses créances envers l’Afrique ?
Lu Shaye : La Chine a pleinement mis en œuvre l’initiative du G20 sur la suspension du service de la dette, le montant concerné dépasse 1,3 milliard de dollars américains. Beaucoup de pays bénéficiaires sont africains. Par ailleurs, le gouvernement chinois a annulé la dette des prêts sans intérêt arrivant à échéance fin 2020 des pays africains concernés. La Chine a fait de son mieux par alléger la dette des pays africains. Elle souhaite aussi voir les pays développés et les institutions financières internationales faire plus d’efforts. Les banques internationales privées représentent une grande partie des dettes africaines. Nous souhaitons qu’elles puissent prendre des actions concrètes dans le sens de l’allègement de la dette en Afrique.
En ce qui concerne les banques de développement à vocation politique, tous les pays ont ce genre de banques. Dans ce domaine, la Chine est tout à fait transparente. J’ai énuméré tout à l’heure des chiffres sur des projets financés par la Chine en Afrique, par exemple plus de 6000 kilomètres de voies ferrées et plus de 6000 kilomètres de routes, quelques 20 ports, environ 150 stades et centres de conférence, et plus de 200 écoles : tant de projets d’infrastructures construits avec les financements de la Chine. C’est totalement transparent. Comme je l’ai dit tout à l’heure, il ne faut pas regarder le problème de dette sans tenir compte des besoins du développement de l’Afrique. Les investissements chinois en Afrique sont introduits principalement soit dans la construction d’infrastructures, soit dans l’industrie manufacturière. Ils sont rentables et propices aux dynamiques de la croissance de l’économie africaine au lieu d’être un fardeau. Bien sûr, la Chine est tout à fait ouverte pour discuter de la question de la dette en Afrique entre les membres de la communauté internationale, y compris dans le cadre du G20 et dans d’autres enceintes.
Les investissements chinois en Afrique sont salués par la communauté internationale et surtout par les pays africains. J’ai évoqué tout à l’heure les mots du Président djiboutien qui sont la réalité. J’ai participé personnellement à la décision du projet de chemin de fer Mombasa-Nairobi, qui mesure 480 kilomètres. Les Chinois ont pris seulement deux ans et demi pour le réaliser. Ce projet a créé des dizaines de milliers d’emplois locaux et contribué à augmenter de 1,5% du PIB du Kenya. Tous ces chiffres prouvent que les investissements chinois en Afrique sont très transparents.
4. Q: Quelle est la priorité de la Chine dans l’initiative « La Ceinture et la Route »?Quelles conséquences la politique chinoise vis-à-vis de l’Afrique a-t-elle sur l’initiative ?
Lu Shaye : La coopération sino-africaine dans le cadre du Forum sur la coopération Chine-Afrique n’est pas contradictoire avec la coopération dans le cadre de l’initiative « La Ceinture et la Route ». Elles sont complémentaires. Les objectifs de ces deux cadres sont les mêmes. Les objectifs de l’initiative « La Ceinture et la Route » sont la communication politique, la connectivité des infrastructures, la fluidité des échanges commerciaux, la facilitation des financements et la communion d’esprit entre les peuples. En Afrique aussi, nous voulons réaliser ces objectifs. Notre coopération avec l’Afrique depuis ces dernières décennies est justement pour cela : développer des infrastructures en Afrique, faciliter le commerce, fournir des financements, multiplier les échanges et approfondir l’amitié entre les peuples chinois et africains.
5. Q : Le président Xi Jinping a énoncé l’idée de la « double circulation », avec la priorité accordée à la demande intérieure. Que deviennent la demande extérieure et les moyens que la Chine accordent à ses partenaires ?
Lu Shaye : En ce qui concerne la nouvelle dynamique de développement énoncée lors de la dernière session plénière du Comité central issu du 19e Congrès du PCC, je vois que nos amis français sont très intéressés. La Chine a avancé l’idée de créer cette nouvelle dynamique de développement, où le circuit domestique est le pilier principal et que le circuit domestique et le circuit international se renforcent mutuellement. C’est un réajustement stratégique important pour s’adapter à son stade de développement économique et répondre à la situation économique internationale. Depuis le lancement de la politique de réforme et d’ouverture il y a plus de 40 ans, surtout depuis son adhésion à l’OMC, la Chine s’est intégrée dans le circuit économique international et est devenue « l’usine du monde », en important les matières premières et d’autres produits d’amont depuis l’étranger et exportant les produits transformés ou finis. Ce modèle de développement a joué un rôle important dans la montée en puissance rapide de l’économie chinoise et l’amélioration du bien-être de la population. Pourtant, l’économie chinoise fait face aujourd’hui à de nouveaux changements tant sur le plan national que sur le plan international.
D’une part, le PIB par habitant de la Chine a dépassé 10000 dollars et la Chine est déjà le marché de consommation le plus grand et le plus prometteur dans le monde. Selon les lois économiques, plus une économie est grande, plus elle dépend de la demande domestique et moins l’exportation pèse. En réalité, la part de l’exportation dans le PIB chinois a déjà atteint son pic en 2006, soit 35%. En 2019, elle est baissée à 17,4%. Parallèlement, plus une économie est développée, plus la part du secteur des services est importante. Par exemple, aux Etats-Unis, les services représentent environ 80% du PIB national. Alors que les services tablent principalement sur le marché domestique. C’est pourquoi une nouvelle dynamique de développement dont le circuit domestique est le pilier principal est l’aboutissement naturel de l’augmentation du niveau de développement économique de la Chine.
D’autre part, des changements surviennent dans l’environnement politique et économique international, avec le mouvement antimondialisation qui s’accentue et certaines puissances qui se livrent à l’unilatéralisme et au protectionnisme. Dans ce contexte, le circuit international s’affaiblit sensiblement. C’est pourquoi un rôle plus important donné au marché domestique chinois est une nécessité objective pour répondre aux changements de l’environnement économique international.
La création de cette nouvelle dynamique de développement est une décision stratégique de long terme de la Chine au lieu d’un choix de circonstance. Elle met l’accent sur une « circulation duale » nationale et internationale, plutôt que sur l’unique circuit économique domestique. Elle ne signifie en aucun cas une relégation de la place stratégique de l’ouverture de la Chine. La Chine est un énorme marché avec une population de 1,4 milliard d’habitants, dont 400 millions à revenus moyens, et un PIB par habitant supérieur à 10000 dollars. La Chine continuera de s’appuyer sur l’élargissement de la demande intérieure et de fluidifier le circuit économique domestique, c’est justement pour activer cet énorme marché domestique et mieux attirer les ressources du marché mondial, ce qui non seulement tirera l’économie nationale, mais aussi créera de plus grandes opportunités de marché pour les pays et les entreprises du monde entier. C’est la substance de cette nouvelle dynamique de développement. Cela ne signifie pas que la Chine va se fermer. C’est pas possible, c’est pas dans notre intérêt. Au contraire, la porte ouverte de la Chine sera de plus en plus grande.
6. Q : Le Sommet du G20 a également annoncé des décisions sur les vaccins. La Chine a rejoint le projet COVAX de l’OMS et pris des engagements, sans être très précise quant au montant et aux modalités. Pourriez-vous nous en donner plus de détails ?
Lu Shaye : Lors du Sommet du G20 à Riyad, le président Xi Jinping a réaffirmé que les vaccins de la Chine, une fois mis au point et disponibles, seront un bien public mondial et les pays africains y auront un accès prioritaire. Il s’agit d’un engagement solennel de la Chine. Récemment, les médias internationaux parlent beaucoup des bons résultats des essais cliniques de phase III des vaccins dans certains pays. Nous les en félicitons. Aujourd’hui, j’ai lu un reportage selon lequel la société chinoise Sinopharm a déposé une demande d’autorisation de commercialisation aux autorités sanitaires chinoises. Ce vaccin a déjà été testé dans le cadre d’essais de phase III dans plusieurs pays, avec des dizaines de milliers de volontaires, avec des résultats immunitaires satisfaisants. Je note que les médias français ont également rapporté qu’environ 1 million de personnes en Chine ont déjà été vaccinées avec les vaccins développés par la Chine. En fait, quatre vaccins chinois sont déjà entrés en phase III. Je suis persuadé que les vaccins chinois apporteront une contribution importante à la lutte mondiale contre l’épidémie, en particulier dans les pays en développement.