Le 27 mai 2022, l'Ambassadeur de Chine en France Lu Shaye a accordé une interview à Europe 1 sur le conflit russo-ukrainien , les relations entre la Chine, la Russie et les Etats-Unis,Taiwan et la question liée au Xinjiang. Voici l'intégralité de l'interview :
Q : Bienvenue sur Europe 1 et bonjour Monsieur l’Ambassadeur LU Shaye. Merci d’avoir accepté notre invitation.
R : Bonjour.
Q : Cela fait trois mois que dure la guerre en Ukraine. Pour l’Europe, pour l’Occident, il y a un seul agresseur, il y a un seul envahisseur, c’est Vladimir Poutine. C’est lui qui a décidé de l’invasion en Ukraine et c’est lui qui fait durer la guerre. C’est bien la réalité ?
R : La position du gouvernement chinois sur ce problème est claire et constante. Il y a quelques temps, le Président XI Jinping a donné un discours à la conférence annuelle du Forum de Boao pour l’Asie. Il a avancé une initiative pour la sécurité mondiale qui réside en six points : la Chine respecte toujours la souverainté et l’intégrité territoriale de tous les pays, préconise d’observer les buts et principes de la Charte des Nations unies et que les préoccupations de sécurité légitimes de tous les pays doivent être prises en compte. Il faut trouver une solution de crise par voie pacifique, par voie de dialogue et de consultation. La Chine agit sur ces principes depuis le début de la guerre. Le Président XI Jinping a téléphoné à M. Poutine pour l’encourager à procéder à des pourparlers de paix. En effet, au début de cette crise, les parties ukrainienne et russe ont procédé aux pourparlers.
Q : Dans toutes les prises de parole officielles de la Chine, il n’y a jamais eu véritablement de condamnation claire de la Russie et de la guerre. Est-ce que sur ce sujet-là, lors des grandes discussions entre le Président russe et le Président chinois, il a été question, cette condamnation ?
R : Il faut faire le jugement sur la base de la réalité des faits et prendre en considération les tenants et les aboutissants de la crise. Maintenant l’actualité c’est la guerre. Mais on doit réfléchir sur la cause profonde de cette crise.
Q : Quelle est la cause ?
R : Pour les Chinois, la cause profonde c’est les cinq cycles d’expansion de l’OTAN vers l’est. Ce n’est pas seulement la position de la Chine, c’est aussi le point de vue de beaucoup d’Occidentaux, y compris les personnalités de grande réputation.
Q : Vous pouvez donner des exemples ?
R : Par exemple, M. Henry Kissinger , le chercheur américain des relations internationales John Mearsheimer et d’autres personnes. Il y en a même en Europe.
Q : Vous estimé que la politique de la porte ouverte expansionniste de l’OTAN, selon certains , a conduit à la guerre en Ukraine ? C’est ça la raison pour vous?
R : Je pense que cela constitue une menace militaire de sécurité pour la Russie. On ne peut pas opprimer ou menacer la sécurité des autres en interdisant aux autres de faire la riposte ou de se défendre.
Q : Regarde aujourd’hui, la Finlande et la Suède ont exprimé leur volonté de leur propre chef de rejoindre l’OTAN.
R : C’est la séquelle de cette crise.
Q : Cela montre bien qu’ils ont peur et qu’ils cherchent la sécurité de l’OTAN.
R : À vrai dire, c’est une décision souveraine de ces deux pays-là, je n’ai pas de commentaire. Mais en partant d’une observation objective, je pense que cela n’aidera à rien pour leur sécurité, parce que leur position neutre peut peut-être mieux protéger leur sécurité.
Q : Est-ce que la Chine est prête à de nouvelles alliances avec la Russie ? Est-ce que vous allez ou est-ce que vous êtes déjà en train de remplacer l’Occident pour renforcer les liens économiques avec la Russie de Vladimir Poutine ?
R : On n’a pas l’intention de remplacer l’ordre actuel du monde. Entre la Chine et la Russie, nous avons un partenariat stratégique très solide. Tout le monde le sait. Cela est dans l’intérêt des deux pays. Les États-Unis et leurs alliés occidentaux pratiquent maintenant une stratégie d’endiguement pour contenir la Russie et aussi la Chine. Les Américains ont déclaré ouvertement leur cible stratégique du premier plan : la Chine. Récemment le Président américain Biden a fait un voyage en Asie. Son but est très clair.
Q : Mais pourquoi a-t-il dit ça ? Précisez les choses à nos auditeurs, Monsieur l’Ambassadeur. Sur fond de guerre en Ukraine, Joe Biden a prédit que les États-Unis étaient prêts à utiliser leurs moyens militaires si Pékin envahissait l’île autonome de Taiwan. La Chine, vous avez dénoncé cette mise en garde, parlant de conséquences irrémédiables. Mais c’est qu’il y a une crainte justement d’un envahissement de votre part, c’est pour cela qu’il y a eu cette mise en garde américaine.
R : Nous sommes très inquiets de cette parole va-t-en-guerre de la partie américaine.
Q : Elle n’a pas de fondement ? Il n’y a pas à s’inquiéter sur vos projets par rapport à Taiwan ?
R : Le problème de Taiwan est tout à fait différent de la crise ukrainienne.
Q : Il y a une souveraineté de Taiwan aussi comme une souveraineté de l’Ukraine.
R : C’est la souveraineté de la Chine sur Taiwan. Ce n’est pas la souveraineté de Taiwan. Tous les pays du monde reconnaissent que Taiwan fait partie intégrante de la Chine. Donc comment résoudre le problème de Taiwan, c’est l’affaire intérieure de la Chine.
Q : Taiwan est aussi une nation. Elle se revendique aujourd’hui comme une nation et une nation a une souveraineté. Est-ce que ce n’est pas ce qu’a sous-estimé Vladimir Poutine en Ukraine ?
R : Il n’existe pas de nation de Taiwan. Il y a une nation chinoise. Taiwan fait partie intégrante aussi de la souveraineté que de l’intégrité territoriale de la Chine. Tous les pays du monde reconnaissent que Taiwan fait partie de la Chine. Deuxièmement, comment résoudre le problème relève des affaires intérieures de la Chine. Troisièmement, il faut dissuader les autorités taiwanaises de faire des provocations, de prendre le risque, de franchir la ligne rouge pour éviter la guerre.
Q : Des bombardiers russes et chinois ont volé notamment au dessus de la mer de Chine du Japon. Les États-Unis y ont vu une provocation. Et Taiwan, depuis des années, demande une forme de protection américaine.
R : Les manœuvres conjointes chinoises et russes, c’est pour répondre aux provocations de la part des Taiwanais et des Américains.
Q : Jusqu’où ça va aller ? Est-ce que c’est une forme de guerre froide qui s’installe et peut-être même plus entre les États-Unis et la Chine ? Est-ce que c’est une nouvelle guerre froide aujourd’hui ?
R : On redoute que ce serait une guerre froide mais nous rejetons la mentalité de la guerre froide. Nous refusons une nouvelle guerre froide dans le monde et surtout autour de la Chine.
Q : Vous connaissez sans doute la formule qui a été utilisée et théorisée par Joe Biden, celle du « collectif occidental » qui représente le monde libre face à l’« internationale des autocrates » avec la Russie et la Chine. Est-ce que c’est ce nouvel ordre mondial qui se dessine ?
R : C’est ce que nous rejetons. Le monde actuel est plutôt une globalisation économique où tous les pays se développent en interdépendance. C’est une bonne situation. Mais ce que veulent et font les États-Unis, c’est diviser le monde en deux blocs, un bloc soi-disant « démocratique », un autre soi-disant « autoritaire ». Mais il n’existe pas.
Q : Pourquoi vous dites soi-disant?
R : Est-ce que les États-Unis peuvent se prétendre démocratiques ? Non. Aux États-Unis il y a la corruption, des émeutes, des fusillades, l’interdiction de la liberté de l’expression et de l’information.
Q : Quand même aux Etats-Unis il y a une liberté de la presse.
R : Vous pouvez voir sur Twitter : toutes les opinions qui ne correspondent pas au politiquement correct sont bannies.
Q : Vous me dites que vous êtes pour la globalisation et le système multilatéral. Mais il y a quelques instants, Monsieur l’Ambassadeur, vous avez dit que vous renforceriez vos liens avec la Russie, c’est ce que dénonce aussi l’Europe. Elle dit que vous êtes en train de faire une sorte de pacte entre la Russie et la Chine.
R : Il n’y a pas de pacte. La Russie et la Chine ne sont pas alliées. Elles ne sont pas dans une alliance, elles sont partenaires.
Q : Est-ce que vous avez ainsi détourné les sanctions occidentales par rapport à la Russie en aidant la Russie ?
R : La Chine maintient des relations commerciales , économiques et des autres domaines normales en respectant les règles internationales. Il est tout à fait normal de maintenir ces relations. On n’a pas besoin d’aider la Russie pour contourner les soi-disant sanctions.
Q : Elles sont réelles.
R : Elles sont réelles. Mais ce n’est pas bon pour le monde.
Q : Est-ce qu’on peut se laisser faire en espérant que la guerre s’arrête elle-même?
R : Selon moi, il faut faire trois choses. Tout d’abord, il faut promouvoir les pourparlers de paix pour parvenir à un cessez-le-feu.
Q : Le Président français Emmanuel Macron l’a fait.
R : Oui, le Président chinois l’a fait aussi. Deuxièmement, il faut alléger ou même annuler progressivement les sanctions pour désescalader la situation et éviter le débordement de la crise. Troisièmement, il faut rejeter la mentalité de la guerre froide pour refuser la confrontation entre blocs.
Q : Monsieur l’Ambassadeur, votre gouvernement est accusé de cautionner les exactions contre les musulmans. Les images révélées récemment par la presse par quatorze médias étrangers montrent des membres de cette minorité musulmane possiblement internés de force dans des camps. Il y a des images qui existent. Les personnes ne sont pas fictives. Que répondez-vous ? Comment nier ce que l’on voit ?
R : Il y a quelques jours, on a sorti un soi-disant « fichier de police du Xinjiang ». Mais comme auparavant, c’est toujours les mensonges. On dit que ces documents ont été obtenus par le piratage. Le piratage et le cyberespionnage ont été rejetés et condamnés fortement dans le monde occidental. D’abord, vous devez condamner cette activité de piratage. Ensuite il faut vérifier la véracité de ces documents.
Q : Pourquoi ne pas laisser des journalistes étrangers y aller ?
R : On invite les journalistes étrangers. Ces deux dernières années, on a invité des milliers de journalistes, hommes politiques et diplomates d’une centaine de pays à visiter le Xinjiang. Mais bien sûr, certains journalistes occidentaux qu’on avait invités ont refusé d’y aller.
Q : Mais ces personnes qu’on voit Monsieur l’Ambassadeur, ces membres de la minorité ouïghoure existent ? Ce ne sont pas des personnages inventés.
R : Il y a certains soi-disant « témoins ». Mais vous pouvez remarquer que c’est toujours ces quelques personnes, 7 ou 8 personnes. Ils sont plus acteurs que « témoins ». Toutes les allégations prononcées par ces personnes-là sont démenties tout de suite par les autorités chinoises.
Q : Vous ne menez pas une lutte sous couvert d’une lutte contre le terrorisme par rapport à ces minorités ouïghoures ?
R : Ce n’est pas sous couvert de la lutte contre le terrorisme. C’est réellement la lutte contre le terrorisme. Depuis les années 90 jusqu’à 2016, pendant plus de 20 ans, il s’est passé au Xinjiang des millers d’attaques terroristes qui ont entraîné des centaines de morts, des milliers de blessés. Avec les mesures adoptées par le gouvernement du Xinjiang, à partir de la fin de 2016 jusqu’à aujourd’hui, il ne se passe aucune attaque terroriste. C’est une situation très bien accueillie par la population locale.
Q : En tous les cas il y a évidemment un mouvement de fond dans le monde par rapport à cette minorité ouïghoure. Et vous portez cette parole ce matin Monsieur l’Ambassadeur qu’on va conclure. Plus personnellement, vous êtes décrits dans les différents portraits, je cite, comme un « loup guerrier », ce sont les diplomates qui n’hésitent pas à faire des coups d’éclat, à aller au clash, à défendre leur pays.
R : C’est parce que je m’appelle LU. Je ne suis pas guerrier. Je suis combattant pour défendre mon pays.
Q : Pour les valeurs partagées aussi dans le monde ? Quelles sont les valeurs?
R : Les valeurs de mon pays,nous promouvons les valeurs communes de l’humanité dans le monde : la paix, le développement, la justice, l’équité, la démocratie et la liberté. C’est notre valeur aussi.
Q : Merci Monsieur LU Shaye d’avoir accepté de répondre à nos questions sur Europe 1.
R : Je vous en prie.