La «silver économie» en Chine, un immense marché pour le savoir-faire français
By Sonia Bressler | Dialogue Chine-France | Updated: 2020-07-30 15:39:00
Sonia Bressler Philosophe enseignant-chercheuse

 
 

Le 9 janvier 2018, le président chinois Xi Jinping et son homologue français Emmanuel Macron assistent à la cérémonie de signature des projets déchanges et de coopération sino-français au Grand Palais du Peuple à Beijing.

La collaboration sino-française en matière de « silver économie » a débuté le 25 avril 2013, quand le groupe Colisée Patrimoine a signé un accord-cadre au Palais du Peuple de Beijing en présence des présidents François Hollande et Xi Jinping. L’établissement de ce partenariat s’avère essentiel à plus d’un titre.  

La Chine face au vieillissement de sa population

Selon le livre bleu sur le développement de l’industrie du vieillissement en Chine, publié en septembre 2014 par le Comité national du vieillissement, le nombre de personnes âgées de plus de 60 ans devrait atteindre 480 millions en 2050.

Fin 2018, la Chine comptait près de 250 millions de personnes âgées de 60 ans et plus, soit 17,9 % de la population totale. Chaque année, 8 à 10 millions de Chinois atteignent l’âge de 60 ans. D’ici la fin 2025, il y aura environ 300 millions de personnes âgées chinoises, soit un cinquième de la population totale.

Comme le soulignait le président Xi Jinping, lors du XIXe Congrès national du PCC en 2017, « pour faire face au vieillissement de la population, il faut développer toute une série de politiques et un environnement social qui encouragent le respect, l’aide et le soutien à l’égard des personnes âgées, et promouvoir la combinaison des services médicaux et sanitaires avec les services aux personnes âgées, de sorte à accélérer le développement des œuvres sociales et du secteur des services en faveur du troisième âge. »

Fidèle à son engagement de proposer une vie meilleure à la population chinoise, le gouvernement chinois a pour objectif de maintenir les personnes âgées à domicile aussi longtemps que possible, mais dans d’excellentes conditions de vie. L’enjeu est colossal et recouvre de multiples défis comme reporter la perte d’autonomie, créer de nouveaux services diversifiés et personnalisés, mettre au point des technologies d’assistance, transformer les maisons à l’aide de la domotique, créer de nouveaux soins et imaginer les attentes des futures personnes âgées. C’est dans ce contexte de recherche et d’innovation que s’est créé le partenariat stratégique sino-français. 

La collaboration sino-française

Afin de proposer une « belle vie » aux seniors, la Chine fait appel au savoir-faire français en ce qui concerne le traitement du « grand âge », notamment en matière de nouvelles techniques d’assistance, de maintien à domicile avec, par exemple, l’appartement connecté, des méthodes de prévention des chutes et les « Ehpad sans les murs ».

En mars 2014, au cours de la visite d’État du président Xi Jinping, la France et la Chine ont manifesté le souhait de mettre en place des projets concernant les soins à domicile avec la création d’un système de qualification et de certification du personnel médico-social.  

Ce projet avait été arrêté lors de la Commission mixte économique franco-chinoise en février 2014, les ministres du Commerce de France et de Chine ayant convenu d’une coopération sur la thématique des services d’accompagnement à domicile des personnes âgées.

Les 8 et 9 mai 2015, la quatrième édition du salon China International Senior Services Expo (CISSE) s’est déroulée à Beijing. Pour la première fois, cette initiative proposait de faire se rencontrer le marché chinois, les investisseurs privés et les expertises étrangères afin de proposer des solutions innovantes en matière de transition démographique. Plusieurs grandes thématiques étaient déjà présentées :

–Les maisons de retraite, les résidences services, le maintien à domicile ;

–L’architecture, la domotique, les équipements de la maison, les objets connectés ;

–Les soins à domicile, les soins de suite et de réadaptation, la grande dépendance, l’accompagnement médicalisé ;

–La formation du personnel soignant et des travailleurs sociaux ;

–Les produits et services pour le bien-vieillir, la prévention, l’autonomie ;

–Les services dédiés aux seniors : tourisme, loisirs, services financiers…

Pendant ce salon, en collaboration avec l’association « Partenariat franco-chinois au service du grand âge », la France a tenu un pavillon afin d’y présenter les entreprises référentes et faire émerger des projets bilatéraux. Plusieurs conférences sino-françaises se sont déroulées à l’Ambassade de France à Beijing en marge du CISSE depuis 2015, chacune d’entre elles faisant le point sur les solutions à apporter pour résoudre le vieillissement des populations et l’affaiblissement de la solidarité intergénérationnelle.

Comme le souligne, dans une interview donnée au site SilverEco, Madame Gao Yuanyuan, ministre-conseillère économique et commerciale de l’Ambassade de Chine, « l’Ambassade de Chine à Paris poursuit très activement, depuis mi-2016, la coopération sino-française de la filière de la silver économie, aux côtés du ministère de l’Économie et du ministère des Affaires sociales et de la Santé. »

De cette collaboration est né le premier projet d’Ehpad sino-français. Il a ouvert ses portes, en mai 2017, dans la ville de Xi’an. C’est une résidence médicalisée conçue par le groupe DomusVi. Ce groupe, depuis sa création en 1983, œuvre en France pour une meilleure compréhension du grand âge, de la dépendance. Sa démarche est synthétisée dans sa devise « vieillir n’est pas une maladie ». DomusVi a ainsi développé une méthodologie de prise en charge, non pas « Hospitalière », mais plutôt faite d’Hospitalité, d’Humanité et d’Humilité. DomusVi a montré la voie d’une collaboration fructueuse entre la France et la Chine en matière de silver économie.

Nouveaux établissements et téléassistance

Le 8 janvier 2018, le président Emmanuel Macron donnait un discours au palais Daminggong à Xi’an. Il y énumérait les partenariats innovants à construire avec la Chine, en matière de transition énergétique, écologique, mais aussi et surtout « en matière d’innovation médicale, tout particulièrement liée à la silver économie ».

À la suite de ce discours, Agnès Buzyn, alors ministre des Solidarités et de la Santé, a signé un accord-cadre avec le ministère de la Santé chinois. Cet accord définit cinq thèmes prioritaires de coopération en matière de santé[Quels sont-ils ?].

Sur le thème de la silver économie, Agnès Buzyn a rencontré la vice-ministre chinoise de la Commission nationale de la Santé Li Bin, le ministre des Affaires civiles Huang Shuxian, et les entreprises françaises du secteur implantées en Chine pour favoriser la constitution d’une plateforme opérationnelle de coopération associant tous les acteurs découlant de l’accord sur ce thème. Afin de sceller ce partenariat, elle a visité l’Ehpad sino-français ouvert dans la ville de Xi’an. D’autres groupes français se sont positionnés sur le marché chinois de la silver économie.

Le groupe ORPEA, fondé en 1989, leader en Europe des créations d’Ehpad, a également signé un accord avec la ville de Nanjing pour créer une première résidence médicalisée de 180 lits qui sera construite dans l’arrondissement de Gulou.

En janvier 2018, le GROUPE SOS Seniors et Universe Cloud (Beijing) Health Management ont signé une nouvelle convention relative à l’ouverture de cinq établissements pilotes d’une capacité de 5 600 places en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et en résidence seniors, et 4 500 places d’aide et de soins à domicile.

L’autre aspect de ce partenariat sino-français stratégique concerne les nouvelles technologies. En effet, en janvier 2018, l’entreprise Sigfox s’est associée à SeniorAdom, un spécialiste de la téléassistance auprès des seniors pour signer un contrat de 300 millions d’euros avec la ville de Chengdu. Ce contrat a pour vocation le déploiement de solutions de téléassistance capables d’aider les seniors à domicile dans les vingt plus grandes villes du pays. Depuis sa signature, un test a débuté à Chengdu auprès d’un échantillon de 1 500 personnes. Il s’agit pour ces entreprises françaises d’apporter une solution de protection des « personnes fragiles ». Elles ont imaginé un système qui anticipe les risques et les accidents. Pour cela, les deux entreprises ont développé un système reposant sur des capteurs de mouvements, des capteurs d’ouverture de porte, des pendentifs d’alerte couplés à de la géolocalisation. En installant ces capteurs, SeniorAdom est capable de détecter les anomalies de comportements susceptibles d’entraîner des événements dangereux.

Autant d’exemples qui mettent en évidence l’importance de la collaboration sino-française pour élaborer des solutions humaines et humanistes face au vieillissement et à la dépendance de la population. C’est un véritable marché qui s’ouvre pour les entreprises françaises et chinoises.

La silver économie en Chine

Le vieillissement de la population chinoise représente un véritable défi pour le pays qui doit continuer à adopter des mesures d’adaptation de la société au vieillissement. Cependant, cette problématique est aussi devenue une magnifique opportunité pour développer la silver économie. Nous devons, en effet, noter que les seniors restent des consommateurs actifs, et leur pouvoir d’achat atteindra 106 000 milliards de yuans (c’est-à-dire 17 200 milliards de dollars) en 2050.  Ce chiffre représentera 33% du produit intérieur brut chinois.

Comme le note le cabinet de consulting Daxue, en 2017, il y avait plus de 110 millions de personnes âgées avec un revenu mensuel du ménage de plus de 4 000 yuans, dont 20 millions avaient un revenu mensuel de plus de 10 000 yuans. Les personnes ayant des revenus moyens et élevés représentent 78 % de la population âgée.

Si la silver économie, en Chine, est un marché financier colossal, elle fait également émerger de nouvelles formes de responsabilités sociales et sociétales. Nous devons envisager le vieillissement non comme une maladie, mais bien comme un humanisme. Je préside une association qui fête, cette année, son centenaire[Ça vaut peut-être la peine de citer cette association. Si elle est centenaire, ce n’est pas rien !]. Nombreuses sont les adhérentes de plus de quatre-vingts ans. Elles sont très actives, elles travaillent encore énormément en plusieurs langues aussi, et elles sont d’une grande curiosité. Avec elles, j’apprends beaucoup. Je termine sur cette note très personnelle, car je pense que le développement d’activités intergénérationnelles représente une part importante du bien-être des générations. Il y a un bénéfice mutuel à travailler ensemble.

Sonia BRESSLER • écrivaine et experte française sur la Chine

Numéro 12 avril-juin 2022
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