Mais la pandémie a rebattu les cartes. Les États-Unis, sous la direction autocratique de Donald Trump, n’ont cessé de s’isoler, manifestant leur hostilité non seulement vis-à-vis de ceux qu’ils considèrent comme des « adversaires », la Chine et la Russie, mais également à l’égard de l’Union européenne, leur allié historique. Face à ce nouveau défi et au Brexit, l’UE doit définir une nouvelle stratégie et un nouveau positionnement à l’international. Sans le Royaume-Uni, cette tâche revient au couple franco-allemand, qui oriente largement le destin de l’Union depuis des décennies.
Lors d’un récent échange téléphonique, les présidents français et chinois ont évoqué la direction que pourrait prendre, dans ce contexte post-COVID-19, la relation bilatérale franco-chinoise, souvent tiraillée entre des intérêts contradictoires. Les deux pays partagent des intérêts communs et ne peuvent que bénéficier d’une coopération renforcée. Le déficit commercial de la France avec la Chine - 10 milliards d’euros en 2019 alors que l’Allemagne est bénéficiaire avec un surplus de 19,5 milliards d’euros - ne reflète pas le potentiel d’échange entre les deux pays. La France reste une puissance scientifique et technologique de premier plan dans de nombreux domaines, en particulier celui de la santé. La crise du COVID-19 devrait encourager les deux pays à une coopération accrue dans la recherche médicale et les conduire à soutenir fermement l’OMS dans sa mission difficile mais essentielle.
Sur le plan technologique, les partenariats se multiplient. Ainsi, la société chinoise China National Nuclear Corporation (CNNC) a récemment installé une base de 1 250 tonnes dans le sud de la France dans le cadre du projet ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor) et d’un contrat signé en septembre 2019. Cette installation, le principal composant du futur cœur de réacteur à fusion, doit permettre de mener à bien le projet énergétique le plus ambitieux de notre époque.Dans le domaine financier, la France et la Chine viennent de lancer un fonds tripartite de 1,5 milliard d’euros dans le cadre d’une coopération entre China Investment Corp (CIC), BNP Paribas et le fonds Eurazeo basé à Paris. Il soutiendra les sociétés européennes dans leur expansion sur le marché chinois. L’accès au marché chinois étant l’un des principaux problèmes soulevés par les entreprises européennes, ce fonds repose sur la volonté du gouvernement chinois de faciliter le développement des sociétés européennes en Chine.
Face à la campagne antichinoise de l’administration Trump, la France doit défendre ses propres intérêts et donc renforcer le dialogue bilatéral avec la Chine sur les principaux sujets qui, dans la période post-
COVID-19, peuvent bénéficier aux deux parties et les aider à surmonter la crise économique. L’un de ces thèmes est la coopération vis-à-vis de l’Afrique.
Le pavillon de la France à la 2e Exposition internationale des importations de Chine à Shanghai
Ces dernières années, les deux pays ont engagé un dialogue et tenté de promouvoir leur partenariat pour des projets en Afrique. Les résultats restent mitigés. Sur le plan économique, quelques expériences de partenariat entre entreprises ont été un succès, mais ces cas demeurent limités. Avec la crise du COVID-19 et ses conséquences sur nombre de pays africains, la coopération franco-chinoise a pris une dimension nouvelle. Lors du Sommet du G20 le 15 avril dernier, un consensus a été atteint entre les États créanciers et le secteur privé pour un moratoire qui avait été évoqué par la France et auquel la Chine s’est rapidement jointe. Toutefois, la dette étant détenue à 40 % par des acteurs privés, Chine et France doivent encore joindre leurs efforts vers une solution acceptable et durable au problème de l’endettement, une tâche particulièrement ardue étant donné la crise économique.
L’autre enjeu central de cette relation franco-chinoise, en particulier depuis le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, est celui du climat. La Chine et la France sont désormais les leaders de la lutte contre le changement climatique. Avec la politique de « civilisation écologique » du président Xi Jinping, la Chine se trouve au cœur de cette lutte et les résultats sont particulièrement remarquables. La France, de son côté, avec ses entreprises très innovantes dans ce secteur de la protection de l’environnement, pourrait développer des partenariats plus étroits avec la Chine et les deux pays pourraient renforcer les échanges d’expérience. Au plan multilatéral, la France et la Chine se coordonnent étroitement pour pérenniser les rencontres internationales et préparent ensemble les prochains sommets de 2020 et 2021, la COP15 sur la biodiversité et la COP26 sur le climat. Naturellement, cette relation franco-chinoise doit surmonter les difficultés que représente la campagne de dénigrement de la Chine initiée par les États-Unis. La France est demeurée jusqu’à présent mesurée dans ses réactions et a résisté au lobbying antichinois constaté dans de nombreux milieux, en particulier médiatiques. Les contentieux et les divergences d’appréciation doivent être évoqués dans un cadre respectueux des intérêts de chacun et échapper à l’influence idéologique qui marque aujourd’hui nombre de commentaires et analyses sur la Chine. La France et la Chine, dans leur environnement régional respectif, ont un rôle essentiel à jouer pour l’avenir de la planète face aux nombreuses menaces.
LIONEL VAIRON est le PDG de CEC Consulting et de Elysha Business Consulting.