Je viens de Varanasi, une ville située sur les rives du Gange en Inde. Quand j’étais petit, le Gange était sacré et un symbole de pureté. Mais je me souviens du jour où ma mère m’a dit : « Ne touche pas à l’eau ! » Au début, cela n’avait aucun sens. Comment quelque chose que nous vénérons pouvait-il être aussi quelque chose à éviter ? Ce fut ma première rencontre avec l’idée de pollution et peut-être, sans le savoir, ce fut aussi ma première leçon sur le changement climatique.
Des jeunes discutent lors de la COP29 à Bakou.
Au cours de mes études, j’ai été attirée par la politique, car elle permet d’opérer des changements à grande échelle. L’action individuelle est importante, mais la politique peut changer des systèmes entiers. Cette prise de conscience a approfondi mon intérêt pour la gouvernance et l’élaboration des politiques.
En 2021, lorsque l’Alliance mondiale des universités sur le climat (GAUC) a lancé le projet pilote Climate X, j’ai été sélectionné comme le plus jeune ambassadeur à participer à la COP27. Mon projet visait à démocratiser les obligations vertes pour rendre le financement climatique plus accessible. Ce fut un moment charnière pour moi. J’ai constaté que même si nous disposions des talents et des connaissances nécessaires pour résoudre les problèmes climatiques, les ressources étaient souvent mal allouées ou tout simplement inadéquates. Il est devenu évident que la finance devait être le domaine dans lequel je devais me consacrer pour avoir l’impact le plus important possible.
Le changement climatique est une menace à multiples facettes qui affecte les inégalités, la faim, la pauvreté et les droits de l’homme. Mon engagement dans ce travail est simple, il consiste à laisser le monde meilleur que je ne l’ai trouvé. Si vous voyez quelque chose de cassé et que vous avez la capacité de le réparer, vous agissez. Pour moi, c’est une question de responsabilité, c’est ainsi que j’agis.
Les jeunes voix sur la scène mondiale
J’ai été délégué à plusieurs Conférences des Parties (COP) à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) en tant que jeune expert. Au début, c’était intimidant. J’étais dans des salles avec des diplomates, des PDG et des experts qui faisaient ce travail depuis des décennies. Je me souviens avoir pensé : « Que pourrais-je bien leur dire qu’ils n’aient pas déjà entendu ? » Il est facile de douter de soi-même lorsqu’on est entouré d’autant d’experts.
Climate Families NYC et les parents de Our Kids Climate à Midtown (New York) organisent un événement créatif en famille avant la Semaine du climat et le Sommet mondial du futur, le 21 septembre 2024.
Mais j’ai réalisé qu’être jeune est une force. Nous ne nous enfermons pas dans des vieux cadres de pensée, alors nous les remettons naturellement en question. Cette curiosité conduit souvent à adopter de nouvelles perspectives. Au fil du temps, j’ai appris que mon rôle dans la salle n’était pas de tout savoir, mais de poser les bonnes questions et de demander des éclaircissements quand ils font défaut.
La préparation est essentielle. Avant de participer à un événement majeur comme la COP, je passe la majeure partie de mon temps à me préparer. Je fais en sorte de savoir ce que veulent les différentes parties prenantes et où se situent les points de tension. Mais au-delà de cela, je prépare mes idées. Il ne s’agit pas d’en dire beaucoup, mais de dire quelque chose qui puisse avoir un impact.
J’ai appris que les gens respectent l’honnêteté et la précision. Si vous êtes clair, concis et honnête, les gens vous écoutent. Vous n’avez pas besoin de passer pour la personne la plus intelligente. Maintenant, lorsque j’entre dans ces salles, je me rappelle que je suis là pour apporter ma contribution, pas pour prouver quoi que ce soit. Et c’est ce changement de perspective qui fait toute la différence.
Pour la COP29, j’ai anticipé une forme de réglementation de la finance carbone. J’ai ressenti les progrès réalisés dans la création d’un marché mondial du carbone. Je suis prudemment optimiste. Pendant des années, on a parlé d’un marché mondial du carbone, mais cela a toujours semblé être un objectif lointain. La COP29 a montré que cet objectif était à portée de main. Les progrès réalisés sur l’Article 6 ont été encourageants. Mais il reste encore beaucoup à faire.
L’un des problèmes qui ressort le plus est le manque d’harmonisation. Les différents pays ont des définitions différentes de ce qu’est une « compensation », ce qui crée des failles. Il est impossible d’avoir un marché mondial avec vingt définitions différentes de ce qu’est un « crédit ». L’autre problème est celui de la responsabilité. Sans systèmes de suivi appropriés, le crédit carbone est comme de l’argent fantôme, techniquement là, mais pratiquement insignifiant. Le financement climatique repose sur la confiance. Et la confiance ne se négocie pas en coulisses, elle se construit au grand jour et par des actions.
Promouvoir la coopération sino-française sur le climat
La Semaine du climat de l’Université de Pékin-Sciences Po a débuté le 24 octobre 2024, avec pour objectif de renforcer la coopération entre les établissements d’enseignement supérieur chinois et français et d’explorer des voies innovantes pour former des compétences en matière de neutralité carbone. J’ai été invité à participer à l’événement.
Naman Kapoor (2e g.) discute des questions liées au changement climatique lors de la Semaine du climat de l’Université de Pékin-Sciences Po à Beijing, en octobre 2024.
C’était un événement particulier, non seulement pour moi mais pour tous ceux qui y ont participé. L’événement avait une portée symbolique puisque l’on marquait le 60e anniversaire des relations diplomatiques sino-françaises. J’ai eu la chance d’accompagner trois enseignants de Sciences Po pour y représenter les étudiants.
Ce qui a le plus marqué les débats, c’est le côté pratique des discussions. Au lieu de simplement parler de ce qui devait être fait, nous nous sommes également concentrés sur les modalités pour y parvenir. La semaine a couvert tous les sujets, du financement climatique et des exigences en matière éthique, sociale et de gouvernance (ESG), à la consommation durable et à la transition comportementale, avec des personnes présentes dans la salle qui peuvent changer les choses. Au-delà des discussions, nous avons effectué des visites sur le terrain au projet Zéro Déchet de la Cité Interdite, qui ont donné vie à ces idées.
J’ai eu l’occasion de prendre la parole lors de la cérémonie d’ouverture et d’animer l’événement à l’Institut français de Beijing. La profondeur des échanges m’a laissé une impression durable et je suis sûr que chacun en a tiré de nombreux enseignements.
Cet événement m’a également permis de comprendre que la Chine et la France sont particulièrement bien placées pour mener l’action climatique. L’envergure et la capacité d’action rapide de la Chine, combinées au leadership politique et à l’expertise de la France en matière de gouvernance, en font des alliés naturels dans ce domaine. Mais ce que j’ai trouvé le plus gratifiant, c’est d’avoir dirigé les efforts visant à rédiger une déclaration commune des étudiants chinois et français, qui sera partagée avec les hauts dirigeants des deux pays. C’était formidable de voir que les jeunes se voient offrir une telle plateforme pour leur donner plus de voix au chapitre. Des moments comme ceux-ci me rappellent que le véritable changement se produit lorsque les gens se rassemblent autour d’un objectif, pas seulement pour discuter, mais pour construire quelque chose de concret.
Un fossé à combler
De nombreuses personnes et organisations souhaitent contribuer à la lutte contre le changement climatique, mais elles ne savent pas par où commencer ni comment avoir un impact significatif. C’est là que j’entre en jeu. En collaboration avec des collègues de France et de Chine, j’ai bâti un écosystème d’outils et de plateformes qui aident les organisations et les particuliers à s’engager plus efficacement sur les marchés émergents du carbone et à optimiser leur impact.
L’un de nos projets phares est une plateforme conçue pour aider les entreprises à s’y retrouver dans les complexités du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) et du système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE-UE). Ces réglementations remodèlent le commerce mondial et obligent les entreprises à repenser leurs chaînes d’approvisionnement. Mais pour de nombreuses entreprises, en particulier les PME il est difficile de savoir quelles mesures prendre.
Notre plateforme vise à combler cette lacune. Nous travaillons sur des outils qui aident les entreprises à configurer et analyser leurs émissions, à optimiser leurs chaînes d’approvisionnement et à atténuer les risques financiers générés par ces nouvelles réglementations sur le marché du carbone. L’objectif est de transformer ce qui semble être un fardeau écrasant en termes de conformité en une opportunité stratégique. Nous voulons donner aux entreprises la possibilité de considérer l’action climatique non pas comme un coût, mais comme un investissement dans la résilience. Nous sommes ravis de lancer notre plateforme en Chine au début de l’année 2025.
*NAMAN KAPOOR est étudiant en Master de droit économique et boursier Emile Boutmy à l’Institut d’Études Politiques de Paris