Si 2020 a été plutôt morose pour nombre d’entreprises dans le monde en raison de la pandémie de COVID-19, elle a eu un effet contrasté dans le secteur des opérations de fusion-acquisition transfrontalières (M&A). Le montant des acquisitions d’entreprises chinoises par des entreprises étrangères a en effet doublé par rapport à 2019 pour atteindre environ 45 milliards de dollars, tandis que celui des acquisitions de sociétés étrangères par des sociétés chinoises est tombé au niveau historiquement bas de 30 milliards de dollars, comme a pu l’observer Emmanuel Gros, vice-président de la banque d’affaires B&A Investment Bankers, basée en France et en Chine, et spécialisée dans ce type d’opérations. Il estime que l’Accord global sur les investissements Chine-UE annoncé le 30 décembre 2020 devrait accentuer la tendance dans les M&A. C’est en effet un accord bénéfique pour les deux parties dans un secteur important, les services financiers représentant 9 % des investissements des entreprises de l’UE en Chine, selon les chiffres de la Commission européenne.
Une cérémonie est organisée à l’usine intelligente Aiways dans la zone de développement économique de Shangrao (Jiangxi) pour marquer l’exportation vers l’UE du deuxième lot de 200 véhicules ainsi que la sortie et l’expédition de la version européenne 2021 de son modèle U5, le 23 septembre 2020.
Une banque d’affaires pionnière
La banque d’affaires B&A Investment Bankers a été fondée en 2011 par Cyril Benoit, un entrepreneur qui a travaillé avec Laurent Fabius lorsque celui-ci était ministre de l’Économie au début des années 2000, et dans le secteur privé, notamment pour le groupe Unibail. C’est en revenant en France qu’il a lancé sa propre banque d’affaires, tourné vers la Chine.
« Cyril Benoit m’a parlé de son projet, il avait son premier mandat de vente, celui du négociant bordelais Diva Bordeaux. Moi, j’avais comme client, en Chine, Bright Food, n°2 chinois de l’agroalimentaire. Je savais que Bright Food cherchait à faire des acquisitions en France, et on lui a présenté Diva Bordeaux. En huit mois, on a réalisé la vente, en 2012 », se souvient Emmanuel Gros, qui sera promu vice-président de B&A Investment Bankers et le fondateur du bureau de Shanghai. Il y vivait depuis dix ans.
La vente de Diva Bordeaux est le début d’une belle aventure : « À l’époque, on était pionnier dans les opérations outbound par des investisseurs chinois et notamment en France. » La banque d’affaires s’occupe dès lors essentiellement de la vente d’actifs français à des investisseurs chinois. Sa plus grande opération récente est la vente en 2018 de Kidiliz, n°2 européen de la mode pour enfants, au n°1 chinois de la mode pour enfants, la marque Balabala, détenue par le groupe Semir. Chaque année, B&A Investment Bankers participe à trois ou quatre grosses opérations de ce type, dont les montants s’élèvent à plusieurs centaines de millions d’euros. Elle a entre autres pris part à la vente d’un des actifs de Saint-Gobain China et de son site de Xuzhou spécialisé dans la production de pipelines à la société Nanjing Manyuan Technology (2018), à celle du domaine CGR, comprenant les domaines Château La Cardonne, Château Ramafort et Château Grivière au Funshare Life Group (2016), et conseille la Française des Jeux, qui a une joint-venture en Chine avec China Welfare Lottery.
Des investissements en Chine en hausse
L’évolution constatée par Emmanuel Gros nuance néanmoins l’impression, souvent partagée par les Européens, que la Chine rachète massivement leurs entreprises : « Depuis quelques années, on assiste à une accélération des acquisitions de sociétés chinoises par des groupes occidentaux et notamment français. C’est une inversion de tendance : traditionnellement, la majorité des opérations de M&A transfrontalières étaient celles d’entreprises chinoises. Le pic a été atteint en 2016, avec 200 milliards de dollars d’opérations sortantes, c’est l’époque où on parlait un peu de cet emballement par des acteurs comme HNA, Wanda ou Fosun. Mais année après année, le régulateur chinois a un peu durci les conditions et les opérations sortantes ont diminué. Il est à présent à son niveau le plus bas dans l’histoire récente. On se situe, en 2020, aux alentours de 30 milliards de dollars. À l’inverse, 2020 a été la deuxième meilleure année pour les acquisitions de sociétés chinoises avec des opérations s’élevant à 45 milliards de dollars. C’est deux fois plus qu’en 2019 (20 milliards). »
Un roulier géant charge des véhicules pour l’exportation vers la Belgique à Lianyungang (Jiangsu), le 3 septembre 2020.
Dans ce domaine, les entreprises étrangères ont donc profité de la crise de 2020. « Ce qui a aussi alimenté cette tendance, ce sont les valorisations. Avec le virus, il y a quand même eu en Chine, la première partie de 2020, des inquiétudes sur l’économie intérieure, certaines attentes de valorisation ont été revues à la baisse et des opportunités se sont présentées. »
Le vice-président de B&A Investment Bankers, également vice-président de la Chambre de commerce française en Chine (CCI) et conseiller pour le ministère français du Commerce extérieur, estime d’ailleurs que cette tendance va se poursuivre. D’abord, la Chine a endigué le virus avant les autres et est la seule grande économie à afficher une croissance positive en 2020. Ensuite, l’ouverture de l’économie chinoise va se poursuivre avec l’Accord global sur les investissements Chine-UE. Enfin, la guerre commerciale lancée par les États-Unis et la tentative de découplage de ces derniers ont aussi alimenté les opérations d’acquisitions, puisque certaines sociétés étrangères, de peur de se retrouver isolées et de ne pas pouvoir accéder à certaines matières ou certains approvisionnements, ont fait l’acquisition de fournisseurs en Chine. Il y a par ailleurs la tendance à fabriquer « en Chine, pour la Chine », le pays offrant un environnement rassurant aux investisseurs étrangers.
En outre, l’avance prise par la Chine dans le numérique est très attrayante. « Des entreprises étrangères acquièrent des sociétés en Chine pour devancer ce qui va seulement apparaître dans le reste du monde, puisque la Chine a cinq à dix ans d’avance dans le numérique, que ce soit par ses plateformes de paiements, ses réseaux sociaux ou encore ses commerces. On voit la même chose dans le secteur automobile avec les véhicules électriques autonomes. »
L’accord va renforcer le multilatéralisme
L’Accord global sur les investissements Chine-UE va avoir des effets importants sur les opérations de fusion-acquisition, et plus largement sur les services financiers et sur de nombreux autres secteurs, ce qui réjouit Emmanuel Gros. « Il s’agit plutôt d’une harmonisation des pratiques à l’international. On voit que le cadre des investissements se clarifie, avec moins d’arbitraire, grâce à des mécanismes de contrôles qui sont plutôt focalisés sur la sécurité nationale et à ce sujet, tous les pays ont les mêmes mécanismes, c’est tout à fait légitime. Ce type d’accord permet à la fois l’accès aux marchés, ce qui va alimenter les investissements. Il y a aussi le fait qu’il y ait des conditions équitables de concurrence avec plus de transparence autour des subventions, sur le rôle des sociétés d’État. Ensuite, il y a tout ce qui touche au développement durable. Et enfin, l’accord intègre un mécanisme pour résoudre d’éventuels différends. C’est normal qu’on ait des désaccords : on appartient à des cultures différentes, on a des économies différentes, des façons de penser et une philosophie différentes. »
La Commission européenne a largement mis en avant dans sa communication des points comme la fin des exigences en matière de coentreprise, l’interdiction du transfert obligatoire de technologies ou encore des obligations de transparence des subventions dans les secteurs des services en Chine. Quels seront les gains concrets pour la Chine ?
Cyril Benoit (c.) et une partie de l’équipe de B&A Investment Bankers
« La Chine va bénéficier d’une accélération des investissements étrangers dans les secteurs financiers et de la santé notamment. Ces investissements vont créer de l’emploi et de la croissance, mais aussi du savoir-faire, des technologies, des talents, des actifs et de nouveaux produits. Cela va permettre à la Chine de poursuivre son développement et de l’alimenter avec les dernières nouveautés. Si les investisseurs étrangers ont le sentiment de ne pas être obligés de transférer leurs technologies et de pouvoir en garder la maîtrise, ils vont venir en Chine », avance le vice-président de B&A Investment Bankers, qui prévoit une hausse des opérations sortantes à partir de 2021. « Il y a un cadre précis, plus formalisé, les entreprises chinoises ne seront plus la cible d’un protectionnisme arbitraire. »
En outre, l’accord va dans le sens d’une ouverture toujours plus grande de la Chine. Emmanuel Gros souligne par exemple que la « liste négative » pour les investissements étrangers se réduit d’année en année. En 2020, les restrictions sont descendues à 33. Le Partenariat régional économique global (RCEP), lui aussi signé en 2020, ouvre de nouvelles perspectives en Asie et XIVe Plan quinquennal, qui débute en 2021, entraînera le pays vers de nouveaux sommets.
NICOLAS ZINQUE • journaliste à La Chine au présent